L’édition 2025 de la lutte traditionnelle des Evala en pays kabiyè, a connu plusieurs manifestations culturelles dont celle de l’exposition collective dénommée « kondotu[1] », du 19 au 27 juillet 2025 à la maison des Jeunes de Kara. Cet évènement a drainé la population loin des arènes le 20 juillet 2025 pour la cérémonie de vernissage et le 24 juillet 2025 pour la conférence débat autour du thème « Kondo dans la Cité ».
Cette conférence a été animée par Dr Sama Missimba WEMBOU, enseignant chercheur au département d’histoire de l’Université de Kara. Dans son développement, il a décrit le « Kondotu », une initiation quinquennale en pays kabiyè, avant de relever les phases de cette initiation et surtout l’importance du Kondo dans la société kabiyè.
[1] « kondotu », Kondo, Ladiè soussou, Èhoziyè, Èvalou, Èsakpa, etc sont des mots en langue locale kabiyè parlée par le peuple kabiyè.
Dr Sama M.WEMBOU, le conférencier en compagnie de quelques participants devant les tableaux, 2025,©
Initiation « kondotu » pour être Kondo
Au Togo, le pays kabiyè est situé principalement dans la préfecture de la kozah, autour de la ville de Kara à environs 412 kilomètres de Lomé la capitale. Le pays kabiyè est le territoire ancestral du peuple kabiyè. Ce peuple forme une société lignagère dont le processus de fonctionnement repose sur les classes d’âge. Pour les garçons il existe cinq classes : Ladiè soussou, Èhoziyè, Èvalou, Èsakpa et Kondotu. Le passage d’une classe à une autre est marqué par des initiations. Entre 18 et 20 ans, le garçon subit l’initiation d’Efatou pour devenir Èvalou. Il reste dans cette classe pendant trois ans au cours desquels il participe périodiquement à la lutte traditionnelle des Evala. La quatrième année, il devient Èsakpa et la cinquième année, il subit le rite d’initiation « Kondotu » pour devenir kondo.
En effet, le nom Kondo vient de la contraction de koo-ndo qui signifie « viens tirer à l’arc » ce qui atteste la maturité et la bravoure du jeune homme à la pugnacité. Dans la société, ceux qui suivent cette initiation bravent la faim, la soif et la fatigue en cultivant du matin au soir sans manger, boire et se reposer. Ils font preuve d’endurance et de courage. C’est sur eux que la société compte pour l’exécution des grands travaux champêtres et la défense de la cité contre les ennemies. Cette initiation intervient entre 25 et 30 ans avec plusieurs phases.
Phases de l’initiation « kondotou »
L’initiation « Kondotu » pour devenir Kondo se déroule tous les cinq ans et l’année quinquennale est désignée waah. Après les cinq ans, le Kondo (pluriel kondona) devient égoulou (pluriel agoula). Enfin, il atteint le sommet de la hiérarchie en accédant au rang de sossa ou sage. Trois grandes étapes marquent cette initiation. Il s’agit du rite du port du collier (lètou) et l’internement, la montée sur la butte et la danse maalé.
Le rite du port du collier (lètou) et l’internement
Tôt le matin ou tard dans l’après-midi commence la cérémonie du port du collier (kondo lètou). Un aîné (égoulou) après avoir rasé la tête à l’Èsakpa lui met au cou un collier en fer (ligbadè) et lui donne dans sa main droite la grande cloche (ngbanè) faite de deux lames de houes soudées l’une à l’autre à la base et au sommet. A la tombée de la nuit, les Kondona se regroupent dans un lieu déterminé où ils demeurent campés environ une semaine. Ils sortent de ce campement, une première fois, pour la cérémonie de jet de brosses végétales (sinatou loou) dans un lieu sacré, et une seconde fois, pour être reçu, chacun, chez son oncle maternel et dans sa propre famille, pour des cérémonies rituelles au cours desquelles des poulets, des chèvres, des moutons ou des bœufs sont sacrifiés sur l’autel des ancêtres (adèdouna). Les plumes et le sang du poulet sacrifié sont répandus sur la cloche du kondo qu’il devra bien frapper le jour de la montée sur la butte.
La montée sur la butte
Avant la montée sur la butte (houdé) haute de 6 à 8 mètres, le kondo au cours d’une dernière sortie fait la ronde des lieux sacrés appelés kokasi (singulier koka). Le jour de la montée sur la butte, les cors retentissent dans tout le village et appellent les kondona à sortir de chez eux. Le kondo accroupi, tête baissée, avance en position courbée sur ses bâtons par bonds et se rend à la butte en compagnie des autres kondona de son quartier, précédé de ses Èsakpa qui jouent de la corne. A quelques distances de la butte, tous les Kondona vont s’asseoir en attendant de grimper la butte à tour de rôle. Au moment venu, le kondo se lève et est conduit par son égoulou et ses proches au pied de la butte. Il la gravite avec souplesse et dextérité. Au sommet, il esquisse une gymnastique de pieds, salue l’assistance en agitant ses sonnailles. Puis d’un mouvement de bras droit, il lance en l’air, au-dessus de sa tête, la lourde cloche (ngbanè) retenue par une ficelle à son poignet et la frappe, au moment où elle retombe, avec l’anneau qu’il porte au pouce. Si la cloche a bien résonné, il est ovationné et redescend précipitamment en quelques bonds. Il est alors porté en triomphe par ses aînés et ses camarades. Mais s’il advenait qu’un kondo rate en sonnant la cloche, c’est la désolation et le déshonneur total pour lui, sa famille, son lignage et ses proches. Les kondona exécutent la danse rituelle maalé autour de la grande butte, supervisée par les tchodjona (singulier tchodjo). Le tchodjo (doyen prêtre) est chargé de l’organisation culturelle et religieuse en pays kabiyè, donc du respect de la tradition.
Danse rituelle maalé
Pour terminer, c’est au cours de cette danse que les aînés attribuent les noms de moralité aux Kondona dans certains lignages kabiyè. Ces aînés leur rappellent par des chansons leur courage, leurs souffrances et leurs défaillances au cours des différentes initiations de classes d’âge. Souvent improvisées par un soliste, ces chansons reçoivent la réponse en chœur de tous les Kondona: « maalé », qui signifie « me voici encore en vie malgré les dures épreuves, mes défauts et mes imperfections » selon la traduction de l’anthropologue Wiyao Kao Blanzoua.
Les Kondona dansent également sur la place du marché, chantent leurs exploits ou pleurer leurs malheurs. Enfin, les libations quinquennales vont se faire dans la grande maison primordiale : Kilizay Sossowa par le gand prêtre et les prêtres officiants qui font des prières rituelles (Bo lowʋ no), la grande libation et le grand sacrifice pour la bénédiction, la protection des Kondona nouvellement initiés, des Agoula et de toutes les familles.
Au cours du mois kiyèna (août), les Kondona vont se faire raser la tête pour mettre fin aux étapes de Kondotu. Cette initiation par son importance et sa signification marque un terme pour le passage des classes d’âge en pays kabiyè.
Importance du Kondo dans la société kabiyè
La société kabiyè est organisée en classes d’âge masculines et féminines. Cette organisation assigne des rôles aux jeunes garçons et filles dans leur communauté. Pour les garçons, ces initiations ont pour but d’intégrer le jeune homme dans sa société et de faire progressivement de lui un membre à part entière. Pour la première fois, l’initié va accéder au lieu sacré de l’Ancêtre Fondateur et recevoir l’onction ancestrale qui fait de lui un citoyen kabiyè. Il entre dans la succession de la lignée des pères et est le chef de foyer. Le kondo devient un guerrier-défenseur de la cité kabiyè. Il joue donc le rôle de défense et de protection des gens dans sa communauté. Il participe aux grands travaux agricoles dans sa communauté.
Ainsi, le Kondo passe par l’apprentissage de l’endurance pour parvenir à la maturité avec un lourd bagage de savoir, savoir-faire, savoir-être et savoir-vivre au plan économique, religieux, politique et de la défense de la cité.
Dr Sama M.WEMBOU, photo du conférencier au micro, 2025,©
Le conférencier, Dr Sama Missimba WEMBOU a permis au public de mieux comprendre les tableaux d’art de l’exposition collective « kondotu ». Cet Historien spécialiste du patrimoine culturel et civilisations africaines, Enseignant-chercheur à l’université de Kara et Conservateur du Musée national du Togo de 2022 à 2025, par la maîtrise de son sujet a décrit dans les moindres détails le patrimoine initiatique « kondotu » et le kondo. Ce fut l’occasion de sensibiliser le public et de témoigner son engagement à la protection, à la sauvegarde et à la promotion du patrimoine culturel en général. En dehors de cette conférence très instructive, il a participé à de nombreux conférences, séminaires au Togo et à l’international et est auteur et coauteurs de plusieurs articles scientifiques et communications.
L’édition 2025 des Evala est marquée par la célébration quinquennale de l’initiation « kondotu ». La valeur réelle de cette initiation est la transmission générationnelle de certaines connaissances indispensables à l’ordre et à la stabilité de la société kabiyè car elle empêche la confusion et l’usurpation de rôle. Les initiés de la même année forment une identité distincte de leurs successeurs et de leurs prédécesseurs. Ils sont une promotion et une marque vivante de l’initiation de cette année. C’est ainsi que durant plusieurs siècles, des efforts sont faits pour transmettre cette initiation. Pour sa sauvegarde, il faudrait que ce patrimoine puisse être enseigné dans les écoles et universités du Togo et être portée sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
TOMFAI Badjala, critique d’art