La jeune Togolaise Ayaba Lina Florence Mensah fait de la photographie artistique. Elle fait partie d’une jeune génération d’artistes photographes togolais cherchant à capturer et à nous livrer des images qui sont avant tout une quête d’émotion et d’esthétique. Ce sont pour les plus représentatifs, Tsevi Yawo Enok ; Alissoutin Komlan Alexandre ; Ekue David ; Seydou Abdoul-Madjide ; Agnigbadedji Kuassi Camille ; Dovi-AkuéAdoté ; Ange Ado ;Victor Atsuvi ; Koumassi Emefa Ayabavi ; Zododo Ekué ; Wody Yawo ; Emerson Lawson ; Innocent Ketemepi ; Delali Ayivi ; Kheny ; Moise Pak ; Djawad Mama ; Sabine Kouly ; Florent Banissa ; Azizou Koudamalo ; Florent Lynk ; Koko Masseme ; Frederic Hokof ; Levinos ; Silvia Rosi ; Victor Akpani et Juvencio_ay.
Leurs œuvres disposent d’une identité graphique personnelle qui réinvente les techniques photographiques appliquées au traitement des thèmes historiques ou philosophiques. La photographie est ici comme une vocation où l’artiste crée dans le but de secouer la conscience publique autour des questions sociales, culturelles, politiques et économiques. L’artiste photographe fait un partage du sensible en y décrivant sa vision personnelle. Aujourd’hui le 19 août 2025 est la Journée Mondiale de la Photographie. Célébrons-la en mettant à l’Honneur Lina Mensah. Qui est l’artiste photographe Lina Mensah et quel est son parcours ?
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Ses ambitions de styliste et de modéliste :
Passionnée de mode depuis l’enfance, Lina Mensah avait commencé par confectionner des habits pour ses poupées et ses animaux de compagnie à la maison que sont les chiens et les chats. Plus tard après son BAC série D, elle était tentée d’aller étudier la mode en Italie. A cet attachement pour ce milieu de la mode qui est après tout un secteur connexe de la photographie, est venue s’ajouter sa passion pour les médias que sont la radio et la télévision qu’elle regardait assidument déjà à l’âge de sept ans selon les témoignages de sa mère. C’étaient donc des signes avant-coureurs de l’appel des images après tout.
La photographie de mode a quand même fini par frapper à sa porte en 2009 à travers l’évènement de mode, la biennale BIMOD 228 de Madame Bamondi Sambiani-Bagnah à l’hôtel Sarakawa à Lomé. La théorie et la pratique du métier ont été au rendez-vous.
Cependant, le dernier mot revient à Dieu comme le reconnait Gottfried Wilhem Leibniz :
«il y a une infinité de mondes possibles, dont il faut que Dieu ait choisi le meilleur. »
La formation du concon familial :
Lina Mensah est photographe depuis le berceau, car ses parents – eux-mêmes photographes – l’ont très tôt initiée à capturer l’instant et l’émotion avec une caméra. Son géniteur possédait le studio Photo JB à Tokoin Ramco à Lomé. Jean-Baptiste Yaovi Mensah a eu à transmettre le métier à son épouse Suzanne Attiogbé connue sous le nom de Maman Photo qui a également son studio à Kégué, studio Nana.
C’est ici qu’il y a lieu de préciser que ses grands-parents aussi étaient photographes. Le grand-père paternel, maitre Boniface Mensah, catéchiste de son état était bien connu à Togoville comme photographe ambulant dans les années 60 et 70. A la même époque, le grand-père maternel Paul Attiogbé avait son studio à Tsévié.
La mise à disposition du matériel de travail des parents lui a permis de mettre le pied à l’étrier dès l’âge de dix ans à travers un programme de formation chaque samedi matin. Les deux parents l’ont entrainée en commençant par l’usage des yeux pour faire les mises au point et ensuite la manière de régler en tournant l’objectif de la caméra jusqu’à l’obtention d’une parfaite netteté.
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Un début de professionnalisme précoce :
Ce début de formation devait cinq ans après la propulser comme assistante photographe. Lina Mensah devait alors aller sur le terrain pour faire ses preuves durant les weekends et en temps plein pendant les congés et les vacances scolaires. Au collège, à quinze ans déjà, en tant qu’assistant reporter, elle a couvert au quartier Kégué sa toute première cérémonie de mariage.
Ce baptême de feu réussi lui a fait gagner la confiance en elle-même et celle de ses parents. Elle a donc commencé par louer cette fois-ci le matériel de travail auprès de ses géniteurs. Dès la classe de Seconde au collège Notre Dame de la Trinité, les semaines culturelles étaient devenues des opportunités d’affaires pour elle. Au cours des journées traditionnelles par exemple, elle prenait ses camarades en photo et c’était déjà le début des premiers marchés et contrats grâce auxquels elle avait commencé par gagner sa vie.
De ce point de vue, cette pensée de Jean Guiton devait lui aller parfaitement comme un gant :
«la hardiesse, le risque, le tout pour le tout, comme si j’avais dans l’esprit cette loi de l’évolution des espèces, que les plus grands succès sont du côté des plus grands risques. »
Après le BAC, Lina Mensah a suivi un cursus en Sciences de l’éducation et de la formation à l’Institut supérieur Don Bosco d’Akodesséwa à Lomé où elle a obtenu son Master en 2021.
C’étaient déjà des prospections, des séances photographiques, des shootings, des reportages des cérémonies d’anniversaire, de première communion ou de mariage ou carrément des photos des accessoires de mode.
Durant son passage dans cet institut, elle a été la chargée de communication de la commission communication. En marge des études qui l’ont amenée à faire et présenter les résultats de ses recherches sur le métier de photographe, l’histoire du pagne africain ou celle des Nana Benz ; au cours de cette période de maturité, elle avait commencé par prendre la mesure de l’écosystème culturel du Togo en allant aux vernissages, aux projections de films, aux spectacles de théâtre et de danse, aux concerts et aux défilés de mode.
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Ses expositions photographiques :
Lina Mensah s’est spécialisée dans les techniques de photographie de portrait et les émotions vibrantes. Elle a présenté ses séries de photos “Être vivant”, “Nyonu XXI”, “Abidjanaise by night”, et « École au Togo » lors d’expositions en Côte d’Ivoire et au Togo. Membre de la Fédération Africaine sur l’Art Photographique (FAAP), elle se forme à la photographie de spectacle vivant et enseigne la photographie à travers son projet Pro-photo. Lauréate des Oscars de la Photographie et du programme Afrik de Demain, elle est reconnue comme une figure majeure de la photographie togolaise. Sa série « Afuma » sur les échassiers togolais a été présentée à la 14ème biennale des arts de Dakar en 2022. Elle présente également sa série “ Halʋ sɩsɩŋ nɩʋ” (Douleurs de femmes) à l’Institut Français du Togo en 2022 et au Scas de Marestaing en France en 2024. Vers la fin de la même année, elle exposera au Togo et en Espagne deux séries de photos sur les violences basées sur le genre.
En participant au Salon africain de la photographie à Aokas en 2023 et en rejoignant le prestigieux programme de mentorat de la NOOR Foundation. Elle est membre de la base de données sur le photojournalisme africain de la Fondation World Press Photo. Lina Mensah a représenté les acteurs culturels togolais au programme des visiteurs des centres culturels de l’Allemagne (Besucherprogramm 2023). Elle expose la série “Quasi inexistantes ou malédiction” dans l’exposition collective “El grito interior” à Casa África en Espagne (2024). Elle a exposé un portrait de la Championne du triple saut Françoise Mbango Etone aux Jeux olympiques de Paris. En 2025, elle a participé à la restitution de sa participation à la résidence «Artmessiamé » à Paris, à l’Espace Immanence. De plus, en mars 2025, elle a présenté son projet « Femmes Capables » aux côtés de sa collègue Emefa Koumassi, un projet qui met en lumière la femme togolaise qui lutte pour améliorer sa condition.
Le travail artistique de Lina Mensah :
Sur les traces de ses illustres pionnières que sont Madame Agbokou, Flora Nkégbé, Jacqueline Mathey et surtout Chantal Lawson, Lina Mensah joue librement sur la composition, la lumière et les couleurs pour raconter une histoire ou susciter un ressenti. Sa démarche artistique est basée sur une double approche : une approche documentaire affinée en approche de l’abstraction dans les autoportraits. Ici, l’originalité prime, qu’il s’agisse d’un portrait, d’une nature morte, d’un paysage ou d’une mise en scène symbolique. Il peut s’agir d’une photo en double exposition ou des photos très floues.
En photographiant les paysages, l’architecture, les personnes, les natures mortes, l’intérieur des habitations et même des autoportraits, elle explore l’espace, elle interroge la notion d’intimité par rapport au lieu, l’appartenance et la dislocation.
La photographie de Lina Mensah construit la chaîne des relations entre les hommes et les femmes, mais aussi l’interaction entre l’humanité, la nature et l’Univers. Ce que l’artiste crée doit posséder cette force vitale pour réunir les publics. La photographie devrait être capable de tenir compte des aspirations communes des peurs, des espoirs et des luttes quotidiennes avec la plus grande sincérité. Il s’agit d’un point de convergence ou plus précisément d’un point de repère qui permet de situer et de se situer. L’œuvre n’est pas faite pour être enfermée dans les carcans d’une détermination ou d’une interprétation rationnelle et inféconde. D’une expérience à une autre, elle s’est nourrie de techniques artistiques diverses pour conforter les bases de son métier issu de son ADN. La photographie artistique de Lina Mensah dénonce, sans choquer, les tabous et injustices qui ruinent les sociétés africaines, puisque Bruno Barbey lui donne raison quand il abonde dans le même sens en ces termes : « la photographie est le seul langage qui peut être compris dans le monde entier. »
Pour être une réussite, la photographie des hommes et des femmes dans leur vie de tous les jours exige une intention claire de réflexion, une cohérence visuelle identitaire forte et une maîtrise technique qui valorise l’expérimentation dans les espaces quotidiens sans perdre de vue l’équilibre de l’image comme c’est le cas en peinture.
L’année 2022 a été riche en distinctions pour Lina Mensah : successivement lauréate des Oscars de la Photographie ; lauréate du programme Afrik de Demain ; récompensée par le trophée de Power Photographer pour l’ensemble de sa carrière dans le domaine au Togo.
De même, grâce au concours « Agir ensemble » de l’Union Européenne au Togo, la photographe Lina Mensah a remporté le deuxième prix en mars 2025 dernier. Toujours dans la même année, elle a été lauréate de la catégorie photographie du concours artistique organisé par IYAWO, sur le thème « Ne minimisons pas le sexisme, ça détruit! »
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En marquant d’une pierre blanche cette Journée Mondiale de la Photographie, l’édition de 2025 au Togo, nous pouvons prendre à témoin les photographies de Lina Mensah qui inventent un nouveau monde et proposent une touche cosmopolite où les clichés s’invitent dans le quotidien et traversent la passerelle des sujets communs à la vie sociale. Ainsi, la signification de son travail n’est pas cloisonnée et laisse la place au ressenti. Se passionnant très tôt pour les travaux de ses deux parents eux-mêmes photographes, Lina Mensah portera cet amour pour les images depuis son enfance, en observant et en admirant son cocon familial en s’orientant plutôt vers une carrière photographique plus artistique. Théo Ananissoh ne nous démentira pas : « nous jouons bien souvent dans la vie des autres des rôles dont nous n’avons aucune conscience. » Se faisant, elle essaye de traduire ce qui constitue la part la plus individuelle de chacun de nous, notre plus petit commun dénominateur (ppcd) ou notre plus petit commun multiple (ppcm). Ces deux formules empruntées aux mathématiques expriment à leur manière ce qu’Achille Mbembé appelle justement « la mémoire vigilante » dans un contexte d’optimisme comme l’assermente si bien Sony Labou Tansi : « j’ose renvoyer le monde entier à l’espoir, et comme l’espoir peut provoquer des sautes de viande, j’ai cruellement choisi de paraître comme une seconde version de l’humain. »
Adama AYIKOUE, Critique d’art