L’écosystème de l’art dramatique en général est un milieu assez mouvant où il est souvent donné de constater que les acteurs qui animent cette dynamique artistique passent très rapidement à un autre genre artistique (conte, cinéma, humour et musique par exemple) ou carrément raccrochent. Rares sont les professionnels passionnés du secteur qui s’entêtent à y demeurer malgré les réalités du secteur et les vicissitudes de la vie. Au Togo, parmi cette poignée d’intrépides dans le domaine du théâtre, figure en bonne place AKOUTSA Kokou, nom à l’état civil. Son nom d’artiste est Amlima Del plus connu sous le nom Stephan AKOUTSA. Quel est donc le parcours de ce dernier ?
Ses premiers pas et la naissance de sa compagnie :
Titulaire d’une Licence professionnelle en Aptitude Pédagogique obtenue en 2017, Stephan AKOUTSA a commencé le théâtre en n’étant que comédien dans la troupe théâtrale radiophonique créée par le Révérend Père Eugène AHADJI dans la paroisse Notre Dame de l’Assomption d’Assahoun en 2000. La même année, il a répondu à l’appel d’Edah AWANU dans le cadre de la création de la Compagnie AWAWLI avec d’autres amoureux du théâtre afin de réaliser leur rêve. Stephan AKOUTSA est donc véritablement entré dans le monde de l’art dramatique en 2000 en tant que comédien à la faveur du Festival de Théâtre de la Fraternité, FESTHEF à Assahoun. Aujourd’hui, il est devenu un professionnel pluridisciplinaire ayant plusieurs cordes à son arc : metteur en scène, conteur, auteur, animateur culturel, et directeur de festival.
En 2003, il crée la compagnie ARC-ATO (Arts et Culture-Atopani) qui est aussi une association ayant pour dénomination première COM.TH.AT (Compagnie Théâtrale ATOPANI). Il témoigne : « Je voyais ma liberté d’expression artistique et créative limitée en étant lié à quelqu’un. Pour voler de mes propres ailes, j’ai créé ma propre compagnie. »
Dans la compagnie ARC-ATO, il est à la fois comédien, metteur en scène, auteur ou encore formateur. Il rend très active la compagnie ARC-ATO dès sa création jusqu’alors en exerçant des activités théâtrales (formations, création des spectacles de théâtre et leur diffusion) avec les jeunes et les adolescents dans les préfectures de l’Avé et du Zio dans la région maritime du Togo. Cela lui permet de faire des tournées théâtrales avec ses comédiens dans les écoles, dans les lieux publics et de participer aux festivals nationaux et internationaux. Il est à noter que Stephan AKOUTSA, malgré les conditions financières peu reluisantes, n’a jamais présenté des spectacles payants : ses spectacles sont toujours gratuits. Il a comme références en matière de mise en scène, Alpha Ramsès, Hermas GBAGUIDI, VAGBA Obou de salle, Roger NYDEGGER et bien d’autres metteurs en scène.
Ses plus récentes créations sont entre autres : La machine à fous et Le désert fleuri de Jean KANTCHEBE (création dont il a assuré la mise en scène), Une pseudo-vie familiale de Joël Amah AJAVON (assistant à la mise en scène et comédien), Déviation (auteur et metteur en scène), De l’aval en amont (auteur et metteur en scène), Pantalon de Moriba et Nunya espoir ou désespoir qui sont des contes théâtralisés (metteur en scène). Il est également formateur et encadreur des troupes de théâtre scolaires.
Le Festival des Arts de la Scène en Milieu Rural et la Créatrale :
Pour étendre les domaines d’actions de la Compagnie ARC-ATO, Stephan AKOUTSA crée en 2015 le Festival des Arts de la Scène en Milieu Rural, FASMIR qui a pour ancrage les mêmes préfectures de l’Avé et du Zio et qui a déjà à son compteur six éditions. Le FASMIR est un carrefour des artistes professionnels et amateurs pour des échanges, des formations surtout en art théâtral et en conte. C’est également un rendez-vous pour la création et la diffusion des spectacles dans les localités rurales. Il exprime ses motivations :
« Mes observations m’amènent à constater que les représentations scéniques sont souvent organisées dans les zones urbaines. Les festivals, des spectacles sont organisés dans les villes. La vie artistique semble se limiter à la ville en défaveur des milieux ruraux. La population rurale est sevrée des arts de la scène en général et du théâtre en particulier. »
Vu que la durée du festival est souvent insuffisante pour l’assimilation véritable des formations, Stephan AKOUTSA crée cinq ans plus tard en 2020 la Créatrale qui est une plateforme de création artistique et théâtrale qui précède le FASMIR en récupérant les activités de formation et de création des spectacles qui pourront être diffusés au FASMIR. Stephan AKOUTSA justifie de ce point de vue la création de la Créatrale :
« Des fois, certains artistes ont des idées de création des œuvres artistiques mais attendent un détonateur, un évènement ou quelque chose qui doit les pousser ou obliger à s’y engager. D’autres manquent d’un cadre de création. En plus, la durée du FASMIR ne permet pas une création bien aboutie. Vu tout ceci, j’ai décidé de créer la Créatrale qui est une plateforme de création artistique et théâtrale qui vient en appui au FASMIR. Ainsi la Créatrale s’occupe-t-elle des formations et des créations des spectacles ou de n’importe quelle œuvre d’art précédant le FASMIR. Ces créations seront alors exploitées et visibles au FASMIR. »
La collaboration avec d’autres professionnels et la formation :
Stephan AKOUTSA travaille aussi en collaboration avec d’autres professionnels de théâtre ou des structures ayant les mêmes objectifs ou la même vision. C’est le cas de sa récente collaboration avec l’Espace Théâtre d’à côté de Hubert AROUNA en août 2024 passé. De même, a été question d’un atelier de jeux d’acteurs suivi de restitution récemment organisé en partenariat avec le Festival International de Théâtre de Maison, FITMA de Joël Amah AJAVON, l’Espace Néva Emé de Rodrigue NORMAN et la Compagnie ARC-ATO. Toutes ces activités ont précédé sa fructueuse collaboration avec ARKADI CULTURE d’Edem MODJRO. Stephane AKOUTSA nous éclaire : « Un artiste, doit être social et sociable. J’aime collaborer avec tout le monde, tous les acteurs culturels du monde théâtral, tous les artistes d’autres disciplines artistiques, les espaces ou centres culturels, les administrations culturelles. D’ailleurs, ceci me permet d’apprendre de nouvelles et d’autres choses nécessaires pour mon évolution. »
En 2017, Stephan AKOUTSA adhère à Escale des Ecritures qui est une association d’auteurs francophones qui a pour crédo d’aiguiser le talent d’auteur dramaturge et a entre autres comme formateurs le dramaturge Jean KANTCHEBE. Il faut noter que la participation même à des rencontres d’Escale des Ecritures est déjà une riche formation en soi. Actuellement, il est en formation d’écritures dramatiques jeunes publics organisées par l’Association Les AmArou avec comme formateurs Mady SANFO et Jeanne DIAMA. Pour assurer une bonne administration, Stephan AKOUTSA est allé à l’école du Doyen Léonard YAKANOU et plus tard à celle de Gilbert AGBEVIDE en administration des compagnies théâtrales.
La quarantaine bien sonnée, Stephan AKOUTSA est resté droit dans ses bottes même après un quart de siècle dans l’écosystème du théâtre togolais. Selon lui, il est des fois difficile à l’épervier de déguster l’intestin du poussin et il précise: « Je m’encourage et je me dis que je dois faire du jusqu’au-boutisme ma règle de conduite artistique. Il y a certaines personnes que j’aborde qui pensent que le théâtre ou faire le théâtre n’est pas un métier et me découragent, mais je souris. »
Il a eu à côtoyer ses ainés tout comme les professionnels de son âge comme ceux qui sont plus jeunes que lui. Cette osmose intergénérationnelle et intra générationnelle qui implique les professionnels de l’art dramatique d’ici et d’ailleurs a été un terreau fertile pour lui. Tel un Pèlerin de Compostelle, il continue par écrire sa légende personnelle à l’image d’un long fleuve tranquille à force de passion et d’opiniâtreté. Avec Stephan AKOUTSA, on a envie de citer Sony Labou Tansi : « J’ose renvoyer le monde entier à l’espoir, et comme l’espoir peut provoquer des sautes de viandes, j’ai cruellement choisi de paraître comme une seconde version de l’humain ».
Adama AYIKOUE, Critique d’art.
Lire aussi : LE “THEATRE-PARTY” DE HUBERT AROUNA