Une étude novatrice menée au Togo met en lumière le rôle surprenant des pigeons des villes dans la propagation de l’antibiorésistance. Selon les travaux de Siliadin Akuele, ingénieure biologiste et doctorante à l’École Doctorale Sciences, Technologies, Ingénieries et Santé (ESTIS) de l’Université de Lomé, ces oiseaux sont un réservoir non négligeable de bactéries multirésistantes en milieu urbain.
La chercheuse a analysé des échantillons prélevés dans des pigeonniers de la capitale togolaise. Sur les 96 prélèvements effectués à Lomé, 54 % contenaient des bactéries Escherichia coli (E. coli) résistantes aux céphalosporines à spectre étendu (BLSE). Les BLSE constituent une classe d’antibiotiques cruciaux en médecine humaine.
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Le taux de formes résistantes observé dans cette étude est jugé particulièrement élevé par les experts. À titre de comparaison, des travaux similaires réalisés dans des pays comme la France ou le Bangladesh ont rapporté des taux de positivité se situant entre seulement 1 et 5%. Cette différence suggère que les pigeons de Lomé jouent un rôle important dans la circulation de ces superbactéries.
Selon Siliadin Akuele, ces bactéries, souvent sélectionnées par l’usage intensif d’antibiotiques dans les élevages, peuvent se transmettre à l’Homme par un simple contact avec les fientes. L’étude a aussi révélé une nette augmentation de ce portage bactérien entre les saisons. Le taux de prélèvements positifs passe de 30% durant la saison sèche à 78% pendant la saison des pluies. L’humidité pourrait ainsi jouer un rôle de facteur de dissémination.
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La RAM, une « pandémie silencieuse »
Cette découverte n’est que la partie visible d’un défi sanitaire beaucoup plus vaste, comme l’a rappelé la récente Semaine mondiale de sensibilisation à la résistance aux antimicrobiens (RAM), organisée à Lomé du 18 au 22 novembre 2025. Le Professeur Mounerou Salou, point focal RAM au Togo, qualifie la RAM de « véritable pandémie silencieuse, car les bactéries résistantes se déplacent facilement d’un continent à l’autre ».
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’en 2023, environ une infection bactérienne sur six était résistante aux antibiotiques de première intention à l’échelle mondiale. Des données nationales confirment l’ampleur du problème. En 2023, 6,3% des patients togolais nouvellement diagnostiqués avec le Virus de l’immunodéficience humaine (VIH) présentaient déjà des mutations résistantes aux traitements.
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Face à ce constat, les experts plaident pour une réponse collective et multisectorielle. Le Professeur Salou souligne l’urgence d’investir dans la surveillance microbiologique et l’encadrement des prescriptions. La doctorante Siliadin Akuele insiste sur le rôle central de la recherche pour préserver l’efficacité des antibiotiques.
Le principe du « One Health » (Une Seule Santé) est jugé indispensable. Il consiste à considérer ensemble la santé humaine, animale et environnementale pour mieux prévenir l’émergence et la circulation des bactéries résistantes. L’usage excessif d’antibiotiques dans l’élevage a d’ailleurs une dimension économique, car il engendre des pertes pour les éleveurs et fragilise la chaîne d’approvisionnement alimentaire.
Le Togo dispose d’un Plan d’action national contre la RAM. Les spécialistes appellent toutefois à renforcer la surveillance nationale, le lien avec le secteur animal et l’environnement, ainsi que la collecte de données sur la consommation d’antibiotiques. L’Afrique est le continent qui enregistre la plus forte mortalité liée à cette résistance, avec une estimation de 23,7 décès pour 100 000 habitants.
