Entre sujets sérieux voire graves, devoirs de mémoire et célébration de valeurs éternelles, Rita Mensah-Amendah fixe dans le recueil Fleur vive des élans et des émotions qui ne sauraient passer inaperçus. En 14 poèmes d’inspiration diverse, la poétesse a fait le tour d’horizon de ses centres d’intérêt, de ses envies étouffées et de ses rêves renouvelés.
Le recueil s’ouvre sur la célébration de la féminité. Une partie de la carrière de la poétesse a été consacrée à la défense et à la promotion des droits de la femme, « Femmes debout ! » semble ainsi aller de soi. On peut même y voir et lire le signe d’un intérêt privilégié pour le sujet. « Femmes debout ! » / « Ce n’est plus le temps » / « de geindre ! » / « Fini le temps » / « de ployer l’échine » / « sous le poids pourtant pesant » / « de l’histoire. » : les premiers vers du poème inaugural sont sans détour expressifs. La poétesse interpelle la femme à relever la tête et à refuser de subir car le temps est venu de « s’affirmer », « d’annoncer l’aube », « qui voit poindre un jour nouveau ». Il s’agit de relever un défi : « Que faire pour que demain » « soit autre ? ». Il faut changer de mentalité et surtout passer à l’action : « Il y a urgence de la pensée » / « Pour que suive l’agir » / « Que tes mains se déploient » / « pour créer et étreindre le futur ».
Dénonciations
Fleur vive est également une tribune où la poétesse fait des dénonciations. Celles-ci sont contrastées, il faut le dire, parce qu’elles ne s’inscrivent pas dans la veine orthodoxe des dénonciations auxquelles l’opinion est habituée.
Dans le poème « La péripatéticienne », la poétesse se fait l’avocat des travailleuses de sexe. Elle s’y insurge contre l’ingratitude de l’homme qui profite des largesses de la prostituée mais ne lui accorde pas le respect dû à son humanité. À travers « (ses) savantes caresses », « l’habileté de (ses) doigts », la prostituée fait le bonheur de l’homme : elle « (rend) lisse le front soucieux », « (calme) les convulsions, les émois » ; c’est encore grâce à ses services généreux qu’elle « (prend) sur (elle) », « silencieusement », « Le fardeau de ses ennuis» et « allèges le poids du jour ». Mais la péripatéticienne ne reçoit en retour que de l’ingratitude et de la méchanceté : « Toi qu’on insulte et rejette », « toi qu’on ne remercie pas ».
Lire aussi : Coopération : Faure Gnassingbé et Bassirou Diomaye Faye marquent l’élan d’une alliance fraternelle
La poétesse va plus loin dans la dénonciation. Elle attire l’attention de l’opinion sur les contingences irrésistibles qui poussent des femmes à vendre leur corps. « Qui dira ce qui l’a conduite », « à ce plus vieux métier du monde ? », « Qui sait la tragédie vécue », « Le désespoir vaincu ! ». Elle appelle alors à porter un regard différent sur la péripatéticienne qui ne serait en réalité que la victime d’une situation, qui mérite donc de jouir des mêmes droits et privilèges que les autres femmes : « Ne crache pas sur elle », « Ne la violente pas », « Ne l’humilie pas » car, « complice d’un soir », « elle mérite silence et respect. »
Lire aussi : Chantiers en série dans les écoles : le Togo prépare la rentrée 2025-2026 en grand
En outre, la poétesse souligne que, contrairement à ce qu’on fait croire, les rapports sexuels ne sont point seulement des unions des corps physiques. « Si ce n’est pas un acte manqué », « fait à la sauvette, il comprend toujours » , « une promesse plus profonde », « que le langage de deux corps déshumanisés », « revenus à l’animalité primordiale » : cette exception permet à la poétesse de faire remarquer la composante insaisissable et spirituelle des rapports sexuels. Elle écrit : « L’homme n’est pas l’animal », « et le corps n’est pas disjoint de la fête etd e l’esprit », « C’est l’être dans sa totalité qui est impliqué », « dans l’acte d’amour dit physique ou non ».
Publié aux éditions Graines de Pensées, Lomé, en 2022, Fleur vive aborde aussi d‘autres thèmes tels le mystère de la mort (« Le Baiser de l’Adieu », « Disparition »), l’histoire violente de l’Afrique (« Afrique »), et les bienfaits de la lecture (« Le temps de lire »). Le style de la poétesse y tranche par sa propension aux vers courts qui donnent le sentiment d’une lapidation structurée et et par la fréquence marquée des vers sans verbes. Le vocabulaire est soutenu, pour l’essentiel, et rappelle des écrivains des dix-septième et dix-huitième siècles de la littérature française.
Une contribution de Kodjo Avuletey