Récépissé N° 0010 / HAAC / 12-2020 / pl / P

L’art de l’humour au Togo : l’exemple de Bibisco Bignang  

Le fou rire, le rire narquois, le rire à gorge déployée, le rire narcissique, le rire béat, le rire franc, le rire saccadé, le rire moqueur, etc. Quel qu’il soit, le rire est le mystère de la parole, il est le degré le plus élevé de la communication et donc le comble de la communion. On rit parce qu’on ne s’y attendait pas. En fait, l’humour est une affaire vraiment sérieuse. Et cela, nous vient à l’esprit une allégorie de l’écrivain russe Fiodor Dostoïevski : « Les oiseaux chantent mieux que nous mais, ne rient pas. La panthère court plus vite que nous mais, ne rit pas. Le cheval hennit, l’hyène ricane, l’abeille vrombit, l’aigle glatit, le dindon glousse, le pangolin jabote mais, aucun de ces animaux ne rit. Il y aurait donc, une dimension morale du rire. Une dimension incontrôlable. Le rire fait baisser la garde. Il y a un véritable don du rire. Si vous voulez étudier un homme et connaitre son âme, ne faites pas attention à la façon dont il se tait, parle ou pleure. Regardez-le plutôt quand il rit. S’il rit bien, c’est qu’il est bon. »

Ils sont nombreux ceux qui ont animé et qui continuent d’animer l’écosystème de l’humour au Togo. D’abord, un Hommage mérité à ceux qui nous ont quittés : Kokouvito ; Agbelikanklo ; Agbamekanou ; Folo et Agbasco. Ensuite, nous avons Azé Kokovivina ; Alfa Ramsès ; Frédéric Gakpara ; Gbadamassi ; Gogoligo ; Alex ; Les sénateurs du rire de Kara ; Le professeur Abawé ; Les Tabala ; Valentin Vieira. Enfin, Bibisco Bignang dont il sera question dans cet article.

Du rire à l’humour

« Un bon rire est beau et un beau rire est bon. Le rire est la musique la plus civilisée du monde » nous rappelle Peter Ustinov, écrivain et comédien britannique.

Raymond Devos, humoriste français ne dit pas autre chose : « Du moment qu’on rit des choses, elles ne sont plus dangereuses ».

En vérité, toutes les émotions peuvent être feintes sauf le rire. Le rire est presqu’involontaire parce qu’il fait trembler le corps et il désarme, il nous laisse sans défense. C’est pourquoi « le secret de l’humour est la surprise », disait le philosophe grec Aristote.

L’humour est une forme d’ironie plaisante, souvent satirique, consistant à souligner avec esprit les aspects drôles ou insolites de la réalité.

Il participe de l’oubli de soi, du relâchement de soi et de l’abandon de soi. Il y a une bonne technique pour réussir son coup : être joyeux avant de tenter de faire rire. Mais attention, « toute plaisanterie expliquée n’est plus plaisante », prévenait le grand Voltaire.

Puissance séductrice et dominance symbolique pour l’orateur qui réussit à dérider l’auditoire, le secret de la parole est véritablement le rire. Autrement dit, l’art suprême de la communication est le rire. Un grand anti-dépresseur qui renferme des potions magiques et permet de capter l’attention du public ; d’augmenter notre capacité à retenir ; d’oxygéner le sang, de se débarrasser du stress, de diminuer le trac ; de faciliter la connexion magique entre les hommes.

L’humour est un exercice délicat qui peut être risqué. Du reste, il faut avoir de bons capteurs pour maitriser les codes religieux, culturels, sociologiques et les lignes rouges à ne pas franchir, au risque de gêner le public ou de froisser les interlocuteurs.

Un sujet jugé « marrant » peut aboutir à une tragédie quand c’est une moquerie offensante, blessante et même outrageante.

Il y a ainsi plusieurs sortes d’humour mais nous citerons sept : la raillerie, le trait d’esprit, l’ironie, le sarcasme, la dérision, l’autodérision et la vanne.

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L’humour au Togo

L’histoire de l’humour a commencé avant les indépendances vers les années 1950 avec le concert-party. Notamment avec le Happy star concert bande à Lomé. Le concert -party est un genre théâtral né au Ghana et qui s’est importé et implanté au Togo. C’est du théâtre populaire. Cette forme a connu son apogée au cours des années 80. Après les Happy star concert band il y a eu le Kokouvito concert band dirigé par Kokouvito un grand humoriste. Citons également Kenou Komlan Guy dit « Agbamékanou Toumpèpè » avec Agbamékanou concert band. Puis, il y a eu Azé kokovivina concert band dirigé par Azé kokovivina qui a célébré brillamment à Lomé ses quarante ans de carrière le dimanche 5 octobre 2025 dernier.

Au cours des années 90 on a connu un déclin de cette forme théâtrale et humoristique. Cependant, les années 2000 a vu naître une nouvelle génération d’humoristes. Il s’agit de comédiens de théâtre qui se sont essayé à l’humour avec beaucoup de succès. Il s’agit des artistes comme Alfa Ramsès puis Frédéric Gakpara. Cette génération a inauguré l’époque de l’humour stand up.  Ils ont été suivis par les humoristes comme Gbadamassi et Gogoligo, Folo et Agbasco. Il y a eu également Alex, les Sénateurs du Rire de Kara, le Professeur Abawe, les Tabala à Lomé, Valentin Vieira, Bibisco, Modeste MP3, Marléne Douty entre autres.

De nos jours l’humour est marqué au Togo par le retour sur scène de Gbadamassi qui revisite le concert-party et le fait redécouvrir au public lors de spectacles parfois diffusés sur la télévision togolaise, TVT les samedis après 21h.

Il convient de reconnaitre que des comédiens comme Atchina Noviti, alias Gaglo Emouvi le Costaud, Koffi Ahiankpor, alias Politicos ont plutôt marqué leur temps en tant que comédiens de théâtre et acteurs de films qu’en tant que humoristes.

Valentin Vieira, Modeste MP3 et Bibisco de son vrai nom Bignang Pyabalo ont créé un évènement dénommé le Débat du Rire (DDR). Il s’agit d’un festival d’humour. Au cours des dernières éditions de cette manifestation culturelle, ils ont formé des jeunes Togolais en techniques humoristiques. Ces genres de formations patinent au Togo à cause du manque d’école dans le domaine de l’humour.

BALOGOU Photography

Qui est Bignang Piyabalo alias Bibisco ?

Né en 1987 au Togo, BIGNANG Piyabalo alias Bibisco est titulaire d’une Licence en Journalisme Professionnel et d’un Master en Développement culturel. Animateur d’émissions culturelles et Conseiller d’action culturelle au sein du média national Radio Lomé (donc fonctionnaire de l’Etat), il est également artiste-humoriste, metteur en scène et formateur en écriture humoristique.  En 2012 il fait ses premiers pas dans l’humour dans un duo avant de se lancer dans le stand-up en 2014 par sa première participation au concours national de l’humour. C’est également en 2014 qu’il participe à sa première formation en écriture humoristique et gestion scénique à l’occasion du Festival les Premières Moussons du Rire organisé par l’humoriste Togolais Frédéric GAKPARA alias Professeur GAKPRRR. A l’issue de cette formation (animée par Professeur GAKPRRR lui-même et l’humoriste congolais Titus Kosmas, Bibisco qui pratiquait de l’humour comme un hobby décide d’en faire une activité professionnelle. C’est ainsi que démarre sa carrière. Il fait le tour des comédies-clubs de Lomé pour aiguiser son talent. Il participe à nouveau au concours national de l’humour. Il a été finaliste deux fois en trois participations. Il est co-fondateur en 2016 du trio DDR composé de Valentin Vieyra, Modeste MP3 et lui-même. Ce trio est connu à Lomé pour avoir créé le concept Débat Du Rire et le Festival International Rire à Lomé qui se tient chaque année dans la capitale togolaise.

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En carrière solo, Bibisco a à son actif trois One man show à savoir : « Gal’AIR » que l’artiste lui-même considère comme un essai, suivi de « One Love », et le tout dernier « …une histoire un peu vraie » dont l’avant-première a eu lieu le 1er août 2025 au siège de Talent’s Industry à Agoé Logopé.

En tant que Metteur en scène Bibisco a accompagné plusieurs humoristes togolais dans leurs projets de One man show. Entre autres, deux spectacles de Jocelyn DOGBO (« Y a pas de saut métier » et « Et si on arrêtait ? »), deux spectacles de Chris Balogou (« Chris en blanc et noir » et « monochrome »), deux spectacles de Modeste MP3 (« Alerte au crash » et « Si j’étais Dieu ») Un spectacle de Valentin Vieyra (Les sans titres de Valentin), Un spectacle d’Inspecteur Martin (« L’extincteur »), un spectacle de Jacques Ablate («Le journal intime d’un mouton »), etc.

En termes de formations, Bibisco a bénéficié de plusieurs entre autres en 2014 au festival Les Premières Moussons du Rire et le deuxième en 2019 avec Valery N’dongo du Cameroun, Gustave Parking de la France et Oumar Manet de la Guinée en 2019 à l’occasion du Festival de l’humour Francophone organisé à Lomé par l’Institut Français du Togo. En tant que formateur lui-même, il a déjà animé des formations à Lomé et d’autres villes du Togo ; mais il a également été sollicité plusieurs fois au Bénin et au Niger pour animer des ateliers d’humour.

Dans ses recherches universitaires à l’Institut régional d’enseignement supérieur et de recherche en développement culturel, IRES-RDEC à Lomé, Bibisco a travaillé sur le thème : « L’humour dans la guérison des malades : projet de création d’un centre de loisirs au CHU Sylvanus Olympio de Lomé. » Il compte approfondir ce thème pour son projet de thèse de Doctorat.

Pour Bibisco « le rire est la meilleure résistance ».

Son dernier spectacle en date

« …une histoire un peu vraie » est un spectacle d’humour Stand-up. Il peint les réalités du quotidien. Avant tout il aborde la question de l’éducation à l’ancienne reçue par la génération des années avant 90 (comparée à la génération actuelle) et de l’éducation à l’africaine encore plus particulière avec la maman africaine assez rigoureuse. Sans juger ni donner de leçon, Bibisco ramène sur la table la question de ‘’l’éducation avec ou sans le bâton !?’’ Entre autres sujets abordés, l’artiste se livre en racontant dans une ambiance bon enfant un moment très difficile de sa vie où il a frôlé le pire car il souffrait de dépression sévère. Il raconte les conditions dans lesquelles il a été soigné, en partageant avec le public des scènes incroyables mais vraies qui se sont produites durant sa prise en charge à l’hôpital. « Voir sombrer les natures tragiques et pouvoir en rire, malgré la profonde compréhension, l’émotion et la sympathie que l’on a ressenti, cela est divin », nous signale le philosophe allemand Friedrich Nietzsche.

Selon le critique littéraire français Gerald Genette, « le comique n’est qu’un tragique vu de dos. »

« …une histoire un peu vraie » est un spectacle qui rejoint la préoccupation du dramaturge français Beaumarchais : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. »

L’écrivain congolais Tchicaya U Tam’si ne dit pas autre chose : « Rire pour cacher une envie de pleurer. De rage, de dépit ! Pour se détendre les nerfs, dénouer les sangs. Gagner une plage de sérénité dans son propre cœur, quand votre propre cœur se rebelle, vous est hostile, se refuse à vous ! »

« Les rieurs deviennent ensemble comme des vagues de la mer, il n’existe plus entre eux de cloison tant que dure le rire, ils ne sont pas plus séparés que deux vagues, mais leur unité est aussi indéfinie, aussi précaire que l’agitation des flots. » dira l’écrivain français Georges Bataille en termes de fusion et de communion.

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Cette réalité de la bonne ambiance rejoint l’avis de l’auteur camerounais Francis Bebey quand il écrit : « Dieu n’est pas un homme triste. C’est un homme qui sait très bien s’amuser. Mieux que personne. Dieu est un homme extrêmement joyeux. Sinon il serait mort de tristesse depuis longtemps, à cause de tout le mal que les hommes ne cessent de faire quotidiennement. C’est un philosophe humoriste et rieur. »

Aujourd’hui il est de bon ton d’évoquer les difficultés que rencontre le théâtre africain contemporain à cause du développement de l’humour stand up. Ce dernier tente de ravir au théâtre son public traditionnel et risque de reléguer au dernier plan l’art dramatique en général.

Adama AYIKOUE, Critique d’art

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