En Afrique, la sorcellerie existe depuis toujours, même si elle est un sujet tabou. On en parle presque pas parce qu’elle est classée au rang des forces mystérieuses et destructives. L’écrivain camerounais Mutt-Lon brise la routine. A travers son roman « Ceux qui sortent dans la nuit », il plonge les lecteurs dans le monde ambiant et secret de la sorcellerie africaine. Selon l’auteur, « la sorcellerie n’est pas que négative ». Cette affirmation reflète bien le contenu de son œuvre. Dans cet ouvrage à l’écriture soignée, Mutt-Lon mène une réflexion sur la sorcellerie et le développement scientifique de l’Afrique.
Dans ce roman, Mutt-Lon raconte l’histoire d’Alain Nsona qui, pour venger la mort prématurée de sa sœur, va devenir un ewusu (sorcier) capable de voler librement dans la nuit. Il va forcer les portes de ces forces mystérieuses qui régissent la communauté depuis des millénaires à partir d’un certain nombre de codes réservés aux initiés. Nsona a été enrôlé dans le cercle par Ada, puissant sorcier à la tête d’une académie de sages. Par la suite, Il sera contraint d’effectuer un voyage dans le temps, avec pour mission de rapporter la formule de la dématérialisation des objets. Soucieux de mettre leurs connaissances occultes au service du progrès, ces sorciers appelés ewusus projettent en effet de réaliser une révolution scientifique.
Bien que « Ceux qui sortent dans la nuit » soit un roman, fruit d’une pure imagination, elle renferme des vérités immuables. Les sorciers existent et possèdent des forces mystiques. Mais la question que l’on se pose en lisant le roman et après avoir suivi les exposés de l’auteur est la suivante : existe-t-il une sorcellerie positive ? Une sorcellerie capable de booster la révolution scientifique de l’Afrique ? Difficile de répondre, puisque le roman prend fin lorsque Alain Nsona est revenu de son voyage. L’auteur laisse les lecteurs poursuivre la réflexion.
Une lecture approfondie nous aide à comprendre les ambitions de Mutt-Lon. L’auteur camerounais pense que les Africains doivent retourner à leur source, dans le passé en 1705 (18è siècle), pour épouser à nouveau leurs racines. Pour lui, ce retour à la culture ancienne permettra aux Africains d’être l’auteur de leur propre révolution plutôt que de copier l’Homme Blanc. Les Noirs devraient s’accrocher à leurs racines, à leurs langues, à leurs coutumes… et réfléchir là-dessus pour créer des avancées au niveau du progrès de l’humanité et du progrès de la science.
Retourner à sa source est une idée à laquelle nous souscrivons. Mais y retourner principalement pour la découverte du fonctionnement des formules de dématérialisation comme c’est le cas dans « Ceux qui sortent dans la nuit » nous pousse à émettre des réserves. L’Afrique a perdu beaucoup d’autres valeurs que Mutt-Lon pouvait nous inviter à chercher. Quant à la sorcellerie, dont il fait cas dans son roman, on se demande toujours si elle a un côté positif et peut apporter réellement un plus à la révolution scientifique de l’Afrique.
Monteur à la télévision d’État camerounaise, la CRTV, Mutt-Lon est né en 1973 à Bafia (Cameroun). Il a occupé ce poste après avoir enseigné les mathématiques. Son premier roman « Ceux qui sortent dans la nuit », a reçu le Prix Ahmadou Kourouma 2014.
Elisée Rassan