Un des précurseurs de l’art visuel photographique au Togo, Jacques Mêtonou Do Kokou est de la même étoffe professionnelle qu’un Malick Sidibé ou un Seydou Keïta du Mali, un Omar Victor Diop du Sénégal ou une Mickalene Thomas des Etats-Unis. Ses œuvres photographiques ont fait l’objet de plusieurs expositions à Lomé tout comme ailleurs en Afrique et en Europe. Comme le fait remarquer l’universitaire française Monique Moreau, « La photographie, c’est la mémoire du temps qui passe, de l’instant présent que l’on fixe pour l’avenir et le futur. » Avant de voir qui est en réalité le photographe Do Kokou, intéressons-nous un peu à l’histoire de la photographie au Togo.
- Le patrimoine historique lié à la genèse de la photographie au Togo :
La photographie a beaucoup évolué. Aujourd’hui, nous avons des appareils photographiques numériques accessibles à tous, des téléphones portables, des smartphones, des tablettes. Tout le monde est devenu presque photographe mais la photographie exige tout un art pour figer les instants de vie. Tout le monde n’a pas l’œil de l’aigle du photographe. La photographie, c’est avant tout des thèmes, une approche par rapport à ce que l’on veut présenter au public. Au Togo, plus précisément à Lomé il y a eu de célèbres reporters photographiques. A tout seigneur, tout honneur, citons Clément Fumey dit « Photo Edékpé ». Ses œuvres photographiques constituent jusqu’à ce jour de meilleurs souvenirs dans la collection de nombreux albums de famille. Auprès de lui, beaucoup ont appris le métier comme Fumey Apache, Têvi Nouvi Stéphane (Photo Dégbava dont le studio est encore en activité au quartier Sanoussi à Lomé, non loin des anciens locaux du Centre Culturel Français, CCF). Il faut également citer Bedel Sassou, Photo Miva, Photo Togo (Amétozion) qui fut un contemporain de Clément Fumey, Studio Photo Kondo, Inter photo, Photo Joli-Bébé, Photo Nous les Jeunes, Photo Vénavi. L’histoire retient également d’autres célèbres photographes que furent, le reporter Alex Acolatsé du temps des Allemands et plus tard Benjamin Acolatsé, Photo Badohoun, Photo Amétépé, Studio Lawson ABC, Aguiar, Mamatta, Djalleman et Mensah. De même, il y avait eu de célèbres photographes à l’intérieur du pays, le cas de Barrigah à Kpalimé, Photo Joli Bébé de Adjavoin à Aného-Adjido et à Lomé, Photo Mensah à Sokodé et à Lomé. Saluons aussi la mémoire de Dame Flora Nkégbé, l’une des rares femmes dans un univers masculin. Au nom d’une politique du genre, son parcours mérite d’être salué tout comme le travail que fait aujourd’hui Jacques Do Kokou.
- Jacques Do Kokou ou la naissance d’une véritable carrière :
Né la même année que la revue Paris-Match (tout un symbole !), il lui a fallu attendre 1961, pour, qu’avec un appareil photographique, un Kodak Browning, offert par un grand frère étudiant en France à l’époque, Do Kokou commence à photographier ses parents, ses amis, camarades et connaissances, les objets, le patrimoine bâti ainsi que les scènes de la vie à Lomé comme à l’intérieur du pays. Et c’est ainsi que de la photographie, il était arrivé plus tard au cinéma. Tout en menant ses actions et activités cinématographiques et l’enseignement du dessin d’art en tant que disciple de l’artiste plasticien Paul Ahyi, Do Kokou n’a jamais oublié son premier amour, la photographie qui lui a fait collectionner des milliers de clichés qui seront exposés à Lomé, Ouidah, Bamako, Dakar, Tanger et Lyon et publiées dans plusieurs ouvrages. Ce sont pour la plupart des photos en noir et blanc, son format de prédilection, mais aussi colorisées avec une technique qui lui est propre et qu’il ne cesse d’affiner. L’un des derniers projets photographiques sur lequel le photographe professionnel a travaillé était « Pêche côtière : sur la route des pêcheurs anlos émigrants », réalisé en 2018 dans le cadre du programme « Visa pour la création » de l’Institut français. Ce projet l’a emmené jusqu’à la côte ouest africaine du Sénégal. De même, fin connaisseur du patrimoine architectural du vieux Lomé, Do Kokou a représenté le Togo parmi les cent artistes et acteurs culturels de six pays africains qui ont présenté à travers leurs œuvres leurs perceptions du passé colonial allemand et qui ont réfléchi sur les différentes perspectives artistiques et culturelles de l’impact du colonialisme allemand en Afrique. Ce fut l’évènement culturel intitulé ” The Burden of Memory- Considering German Colonial History in Africa ” qui s’était déroulé à Yaoundé au Cameroun en novembre 2019.
- Un magicien des êtres et des choses:
La lumière naturelle, le visage à peine tourné, le regard vraiment innocent ou rude, l’emplacement, la position, les ornementations du décor dialoguent avec élégance, les poses sont sans affect, empreintes de gravité, parfois soigneusement déséquilibrées et leur intimité apparaît avec une pudique évidence. Voilà toute la magie des êtres et des choses à travers l’objectif de l’appareil photographique de Do Kokou. Il est intéressant de constater que la photographie de Do Kokou n’exclut pas non plus la notion traditionnelle de l’art géométrique et millimétré. A travers les êtres de tous les âges et de tous les sexes et les choses de toutes les couleurs, de toutes les formes et de toutes les figures, comment dès lors notre photographe peut-il résister à l’envie de montrer ou plutôt de donner à admirer quelques fragments choisis de scènes de vie ou d’une bâtisse patrimoniale d’un art remarquable, porteurs de messages et de secrets que le cœur devine et qui vous pénètre l’âme à tout jamais ?
Capturée par l’artiste, l’image n’est qu’un vecteur parmi tant d’autres pour fixer l’éternité de ces visages et objets jaillis du banal quotidien et qui nous interpellent, emplis de lumières intérieures qu’ils diffusent avec autant de nuances que l’on peut en trouver dans la diversité des sensibilités et des caractères humains. Grâce soit rendue au Doyen « conteur de l’espace et du temps » qui a échangé l’écriture et la poésie des mots contre l’écriture picturale et iconographique de la nature morte et dont les messages n’en ont que plus de force. Ces messages que Do Kokou nous laisse sans le vouloir ni le savoir.
- L’exemple de l’Exposition « Les chemins du vodoun » :
Avec tendresse et beauté, les photos qu’il a exposées à Lomé, du 23 avril au 31 mai 2016 à l’hôtel Onomo sont d’un grand professionnalisme. Leurs tirages ont fait l’objet de l’exposition « Les chemin du Vodoun ». Jacques do Kokou a choisi de suivre, appareil photo au poing, pendant plusieurs jours, à l’occasion de leur sortie annuelle au cours de la prise de la pierre sacrée, les prêtres et prêtresses des religions traditionnelles, adeptes des dieux de la mer. Adeptes de la divinité Dan, dite symbole de la richesse. Le long de la côte qui va d’Agbodrafo (Togo) à Ouidah au Bénin, il a immortalisé les hommes et femmes qui consacrent leur vie entière à vénérer et servir des divinités. Le résultat est un condensé de moments incroyables, qui font découvrir les sujets du photographe en pleine concentration rituelle ou en décontraction totale.
Le travail rendu du photographe dans ce cas d’espèce se décline en quatre centres d’intérêt : le regard ; l’attitude ; l’accoutrement et les parures.
a- Le regard :
Mettre en valeur les regards, parfois le regard intérieur. Tel a été la démarche de la photographie d’art de Do Kokou. Se dégagent des œuvres photographiques des regards solennels ; un regard profond et narcissique ; un regard rempli de tranquillité ; un regard fermé par la concentration ; un regard lointain. Parfois émerge du lot un regard franc ou un regard éprouvé, les traits tirés traduisant un certain abattement. Par endroits, un regard profond et un peu affecté. Visage tacheté de blanc et d’argile rouge. Il y a des prêtresses au regard scrutateur. Un regard pénétrant et insistant. Regard un peu perdu dans le vide. Le regard est réservé. Regard soutenu. Sérénité dans le regard. Au-delà de l’innocence, le visage dégage le calme et la tranquillité, digne d’une spiritualité épanouie et de signes extérieurs de religiosité. Par moments, un regard paisible et apaisé. Visage grave des grandes occasions. Un front un peu bombé faisant autorité, surplombe un regard calme et doux. La discrétion dans un regard un peu éprouvé et serein. La sérénité dans le regard et un regard profond. Regard grave avec un peu d’inquiétude. Visage doux et avenant. Deux regards dans deux directions différentes. Au premier plan un regard préoccupé et grave. Au second plan l’adepte a l’air à la fois introverti, détaché et vide. Regard à la fois profond et interrogateur. Adepte ayant l’air emporté. Un maquillage subtil vient renforcer les traits physiques du visage. Le portrait grandeur nature a un regard appuyé. Que nous présentent les œuvres sous l’angle de l’attitude ?
b- L’attitude :
Dans le maintien, on peut remarquer un geste de dévotion, une reconnaissance et une action de grâce. Une adepte célèbre la divinité Lankpan, la main portée à la bouche pour lancer peut-être un cri strident d’approbation. Expression de la plénitude de la coquetterie, elles exécutent leur danse d’honneur. Adeptes en pleine danse avec des mouvements amples et majestueux. Les deux mains à la hanche, une allure et attitude qui en imposent avec grandeur et noblesse. Prestance sûre. Spectatrices avec une attention religieuse. Caractère de grandeur, noblesse dans l’apparence, l’allure, les attitudes. Prêtre pris en étau entre les coutumes et les limites de la jeunesse. Torse nu, les trois dames tiennent dans leurs mains « Akaya » ou « Assogoé », instrument de musique fabriqué à base de dzonu. Enfilades de dzonu harmonieusement agencées qui entourent amplement des gourdes en calebasse de manière qu’elles produisent divers sons quand on l’agite. Une adepte dans l’émerveillement total tendant vers l’abandon de soi. Deux adeptes en pleine confidence en arrière-plan. Deux postures et attitudes diamétralement opposées. D’un côté la réserve et de l’autre l’enthousiasme. Aisance à ajuster le tissu pagne autour de la poitrine. Quelle est donc l’expression de l’apparence ?
c- L’accoutrement :
Signe extérieur d’appartenance à une divinité, symbole de fierté, le pagne blanc exprime le divin, une certaine pureté dans l’âme, la victoire et la joie. Danseuses vêtues de percale blanche. Avec la percale blanche, c’est un symbole de pureté et de spiritualité. Tissu blanc en harmonie, symbole de royauté, de spiritualité et d’une certaine liberté. Percale blanche, foulard blanc et tissu blanc reflétant la pureté en parfaite harmonie avec le tissu fleuri. Une prêtresse qui porte un chapeau et un tissu-pagne ordinaires. Le chapeau melon inspire plus de respect, d’obéissance et de considération à l’instar d’un « couvre-chef ». Le foulard noué en fait son élégance. Les vers portés, la couleur des cheveux et la queue de cheval constituent un supplément d’élégance et de splendeur qui viennent s’ajouter au blanc et l’ensemble confère davantage de noblesse à la prêtresse. Signes distinctifs et insignes de religiosité minimalistes, la nature du tissu blanc fleuri avec art forme ensemble une beauté régulière. Elles sont drapées de tissu pagne aux motifs bien connus (Famille, Royauté et Ecole), tenues de danses et de cérémonie. Véritable tenue d’apparat qui montre que la prêtresse a acquis un statut particulier après une sacralisation ou une déprécation. Les tenues, presque un uniforme reste la marque extérieure de la religiosité.
d- Les parures :
Pêle-mêle. Jeune dame aux yeux bandés d’« anyanyra », Margose ou Momordica Charantia L.. Dame portant comme une vrille un voile-couronne d’« anyanyra », herbe purificatrice. Avec les bras zébrés de kaolin, renforçant les perles par un collier végétal en anyanyra purificateur. Elles sont parées de perles, vodoun dzonu, aux joyaux hétérogènes. Bracelets de dzonu homogène et multicolore. Colliers de dzonu multiforme. Vodoun dzonu aux joyaux hétérogènes avec des formes géométriques, des matières et des couleurs différentes, un mélange de l’esthétique naturelle et artificielle. Le masque facial parfois : un costume qui se dévoile comme des artifices cultive le grotesque à travers l’utilisation de la peinture faciale, en recherchant la laideur. Plus que la métamorphose, sous ce masque, c’est la célébration de l’exode du peuple guin. Les bras zébrés de kaolin (alilo ou ehe), symbole de pureté et de protection. Trois « hunsi » se parent des vodoun dzonu de leurs divinités tutélaires et avec les zébrures de kaolin parsemées de points blancs et d’argile rouge sur le torse et les bras. Vodoun dzonu en colliers et en harmonie avec bijou en forme de serpent en bandeau au front. Mosaïque de vodoun dzonu au cou, aux bras et aux poignets dont la nature, la variété, le coloris, le style d’agencement et la manière de les porter dépendent de l’identité de la divinité dont on est l’adepte. Des parures naturelles sous la forme de vergeture, signe d’un combat contre dame nature. Vodoun dzonu multiforme et multicolore en grandeur nature. Des colliers, bracelets et bagues dépassant le cadre du simple atour esthétique. Nez doré, assorti avec des boucles d’oreilles exotiques, signe d’un alliage entre tradition et modernisme. Colliers en vodoun dzonu de différentes formes et de différentes couleurs. Vodoun dzonu dans leur diversité. Objets d’apparat caractéristiques de la divinité tutélaire. Parures qui se distinguent par leur forme géométrique, leur matière première et leur couleur. Les cauris font partie des composantes des vodoun dzonu qui ont même servi de bandeau qui ceint le front de la prêtresse. L’un des colliers en perle est muni de pendentif. Parures composées d’un mélange de colliers en vodoun dzonu caractéristiques de la divinité tutélaire. Les colliers de vodoun dzonu avec des atours minimalistes. La mosaïque de vodoun dzonu forme une beauté régulière. Avec les vodoun dzonu dans toute leur diversité et mis par ordre de croissance pour symboliser son ascension spirituelle. Les vodoun dzonu au cou, aux poignets et les bagues aux doigts restent les insignes de la divinité dont elle se réclame. Vodoun dzonu bien propres à la divinité de son obédience. Vodoun dzonu spécifiques aux entités spirituelles dont elles vouent une adoration. Les dzonu sont typiques à leur croyance. Vodoun dzonu caractéristiques de la divinité tutélaire favorisant l’exhibition des atours au poignet et aux doigts. Des scarifications à l’épaule comme un grade sous la forme de barrette dans l’armée et la nature des vodoun dzonu servent à identifier l’appartenance religieuse.
Grâce au viseur du photographe ou à partir de son logiciel, Do Kokou a démocratisé l’accès à sa création en donnant l’opportunité au grand public d’ici ou d’ailleurs de découvrir et d’admirer ses œuvres. Créateur d’images, son travail à la fois thématique et didactique a su traverser le temps malgré la mutation des pratiques et des techniques. Au total, pour couronner une longue et riche carrière au service de la Culture au Togo et ailleurs dans le monde à travers la photographie et le cinéma entre autres, il fut remis des insignes de chevalier des arts et lettres à Jacques Do Kokou à Lomé, le mercredi 21 novembre 2018. Cette reconnaissance artistique est une importante distinction honorifique française qui vient honorer la notoriété du photographe et le privilège mérité grâce au travail incessant, à l’opiniâtreté à défendre ce qui aux yeux de tous, fait la gloire d’un artiste : l’excellence. En un mot le talent.
Adama Ayikoue, gestionnaire de Patrimoine culturel
8 commentaires
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