Le cinéma est un procédé permettant d’enregistrer et de projeter des images animées. L’histoire du cinéma au Togo a commencé avec « Les ombres chinoises » et « La lanterne magique ». Les cinéphiles comparaient ce cinéma aux ombres chinoises que créent sur les murs les lampions à huile (à dominance jaune) avec lesquels, à l’époque, on s’éclairait la nuit. Puis, les projections payantes ont suivi entre 1927 et 1928, communément appelé « Kpèlèbè cinéma ». C’était du cinéma muet en provenance de la Gold Coast (actuel Ghana). Depuis ce temps, jusqu’aux années 80, le cinéma a connu une évolution caractérisée par une vingtaine de salles de cinéma sur toute l’étendue du territoire. Figure emblématique du secteur, Jacques Do Kokou est le premier cinéaste togolais à propulser le 7ème art du Togo sur le devant de la scène internationale. Il a voulu être le témoin de son temps à travers sa production cinématographique. Il produit par passion, par ambition et par désir de s’exprimer en faisant regarder le Togo en particulier, le monde en général à travers l’œil d’une caméra.
Les atouts du cocon familial et des influences
Do Kokou ne rêve, dès son plus jeune âge, que de cinéma depuis le jour où il a assisté avec sa grande sœur à une projection de film dans la seule salle de cinéma dans les années 50 dans l’enceinte de l’actuel Hôtel du Golfe à Lomé. L’environnement familial aidant, ce rêve deviendra une réalité grâce au soutien multiforme de son père et l’appui logistique de son frère ainé qui possédait déjà à l’époque un appareil photographique et une caméra. Il témoigne : « Je suis arrivé au cinéma par curiosité parce que j’ai été attiré très tôt par la magie des images à travers les séances de projections de diapositives, de films de 8mm que mon grand frère étudiant en France dans le temps organisait pour la famille pour nous montrer le patrimoine bâti et urbain de Paris à travers ses sites et monuments historiques, Noël sur les champs Elysées…etc., quand il revient pour les vacances au pays ».
En 1972, Do Kokou était le seul Togolais à participer au premier festival du cinéma amateur organisé par le Centre culturel français (CCF) de Lomé avec un court métrage en 8 mm couleur intitulé « 27 avril ». Il s’agit d’une séquence de la commémoration de la date anniversaire de l’indépendance du Togo en 1960. Ce film est un moyen pour le cinéaste d’exprimer son identité et surtout de pouvoir donner la mesure de son expression. Le cinéaste nous éclaire : « J’ai eu deux mentors dans le cinéma. Il s’agit de Sembene Ousmane du Sénégal qui m’a donné l’envie de devenir cinéaste et de Moustapha Alassane du Niger qui m’a accompagné dans ma production. Ces deux personnes m’ont ouvert la route du cinéma. »
En matière de reconnaissance on pourra attribuer à Do Kokou les confessions suivantes d’Albert Camus : « Sans cette main affectueuse que vous avez tendue au pauvre petit enfant que j’étais, sans votre enseignement et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur. Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été et êtes toujours pour moi et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez l’un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. »[1]
- De la révélation à la notoriété internationale
Motivé et galvanisé par ce premier succès, deux ans plus tard, en 1974, Do Kokou réalise un premier moyen métrage « Kouami ou l’exode malversé » en couleur format 16 mm. C’est l’histoire de Kouami, un jeune certifié venu faire fortune dans la capitale, Lomé et qui s’y retrouve mendiant et solitaire. Le scénariste met en exergue les difficultés de l’exode rural : l’intégration, l’exclusion et l’incompréhension des autres.
Ce film est projeté à Paris en février 1975. Grâce à cette projection en France, il a été identifié sur le plan international. A ce titre, il a participé alors, pour la plupart comme réalisateur ou membre du jury, aux festivals de Moscou, de Tachkent en URSS, de Montréal au Canada, de Ouagadougou au Burkina Faso, de Bamako au Mali, de Dakar au Sénégal, de Cotonou et de Ouidah au Bénin et… de Cannes en France.
En septembre 1974, grâce à une bourse du ministère français de la coopération, il a suivi, à Paris en France et jusqu’en 1978, une formation en cinéma et en montage de film au sein de la section technique du cinéma au département des actions culturelles de ce même ministère. C’est au retour de cette formation qu’il a été engagé au Togo, par le service du cinéma et des actualités audiovisuelles (CINEATO) comme réalisateur et photographe. En septembre 1999, il avait été affecté à la télévision togolaise (TVT). Toujours à la recherche de la qualité et de la perfection, il a participé aux stages de formation, que ce soit ceux du Service de coopération et d’action culturelle (SCAC) de l’ambassade de France, du Goethe Institut de Lomé ou de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). C’est encore guidé par cet esprit de créativité et cette volonté de savoir qu’il s’est inscrit pour se faire former en perfectionnement et écriture de scénario à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) à Bry-sur-Marne en France, puis à la formation pour la scénarisation des séries télévisuelles à Ouagadougou au Burkina Faso.
- Do Kokou au service du cinéma sur le terrain au Togo
Pour mieux enraciner ses aspirations, avec des amis préoccupés par la promotion et le développement du 7ème art au Togo, Do Kokou a mis en place en 1996, l’Association pour la promotion de la culture des arts et des loisirs (APCAL). L’objectif est de renforcer les capacités des professionnels, d’encourager la jeunesse togolaise à s’investir dans ce domaine, d’inciter les opérateurs économiques à découvrir les réelles opportunités liées aux industries culturelles et créatives dans ce secteur. C’est dans le prolongement de ces ambitions qu’il a créé en juillet 2002 le Cinéma itinérant du Togo dans la droite ligne de Sembene Ousmane qui pensait que le cinéma, était une école du soir qui est ouverte à toute la population la nuit sur la place publique. Il s’agit du dispositif par lequel, le cinéma sort de Lomé pour se rendre dans les villes, les villages, les hameaux de l’intérieur du pays pour offrir du loisir aux populations excentrées mais aussi les sensibiliser à des thématiques données, ceci pour le développement socio-économique, culturel et artistique du Togo. Cette préoccupation relative au cinéma rejoint en quelque sorte l’idée que l’écrivain congolais Sony Labou Tansi s’est fait du théâtre : « En fait, ce qui compte, ce n’est pas le genre, mais les choses qu’on a à dire. J’ai toujours pensé que dans nos pays, dits pauvres, le théâtre était une solution de remplacement par rapport au livre qui coûte cher et qu’on n’a pas toujours le temps de lire. »[2]
Ainsi, le Cinéma itinérant du Togo a parcouru plus de 1 000 quartiers, villages et cantons urbains et ruraux, avalé plus de 60 000 kilomètres de route, réuni plus de 300 000 spectateurs et formé ou initié près de 150 jeunes à au moins un des métiers du 7ème art. Au vu de l’engouement des populations et des besoins de plus en plus croissants en termes d’expérience et d’échanges, il a créé en 2006 avec l’association ACPAL, les Rencontres du cinéma et de la télévision du Togo (RECITEL) pour aider les acteurs togolais à actualiser leurs connaissances à travers les formations et pour contribuer au rayonnement du Togo dans le 7ème Art. Depuis, l’évènement a déjà connu dix éditions.
« Un bon film, c’est un film dans lequel je me retrouve, qui me parle et qui me fait vibrer. Le cinéma est déjà inventé mais il continue d’évoluer surtout au niveau de la technique. Ce qui compte c’est d’arriver à raconter une histoire originale qui fait plaisir à voir à l’écran. Pour y arriver, je dirai à la jeune génération que c’est par le travail et le dépassement de soi. », disait le pionnier des cinéastes togolais au détour d’une discussion. Tout compte fait, pour couronner une longue et riche carrière au service de la Culture au Togo et ailleurs dans le monde à travers le cinéma, Do Kokou a reçu à Lomé lors de la cérémonie d’ouverture de la 4è édition de la semaine nationale du cinéma togolais, un trophée de reconnaissance de la Nation « pour service rendu au 7è art togolais » le lundi 23 novembre 2020. Cette reconnaissance artistique est une importante distinction honorifique nationale qui vient renforcer la notoriété du cinéaste. Le trophée lui a été remis personnellement par le Ministre de la culture et du tourisme, Dr Kossi Gbényo LAMADOKOU.
Adama AYIKOUE,
Gestionnaire du Patrimoine culturel et critique d’art.
[1] CAMUS Albert, Olivier TODD, Albert CAMUS, une vie, biographie, Paris, Gallimard, 1996, p. 694.
[2] Sony Labou Tansi, « Une certaine idée du théâtre », la revue Théâtre Sud, N° 1, L’Harmattan/RFI, Paris, 1990, p. 91.