Les autorités togolaises déploient depuis quelques semaines beaucoup de moyens pour ralentir la propagation de la pandémie de coronavirus. A cet effet, plusieurs mesures ont été prises notamment l’état d’urgence décrété le 1er avril dernier par le chef de l’Etat, Faure Gnassingbé. Dans une interview accordée à financialafrik.com, le Premier ministre togolais, Komi Selom Klassou est revenu sur la façon dont la crise sanitaire est gérée au Togo. « Nous ne sommes pas dans du folklore, nous sommes dans l’action », a-t-il nuancé. Voici l’intégralité de l’interview.
Monsieur Klassou, le Togo n’a-t-il pas pris tardivement la mesure de la situation du coronavirus ?
« Bien au contraire, le Togo a été en avance sur la situation. Le chef de l’Etat a institué autour de lui, avant même que le premier cas ne soit détecté, dans notre pays, un Comité de crise avec plusieurs ministres et des spécialistes pour étudier les réponses appropriées à donner à la situation qui pointait à l’horizon vu le caractère généralisé qu’a pris cette pandémie. Nous étions début mars. Et il a eu raison d’anticiper puisque deux jours après la première réunion du comité de crise, un cas positif a été déclaré le 05 mars. Nous ne sommes pas dans du folklore, nous sommes dans l’action ».
Oui, mais le gouvernement reste très critiqué dans sa gestion de la crise sanitaire… ?
« Nous ne pouvons pas interdire aux gens de nous critiquer. D’ailleurs, ces critiques lorsqu’elles sont justifiées, nous poussent à mieux faire. Dans ce cas précis, il faut dire que l’idéal aurait été de n’avoir aucun cas au Togo. D’ailleurs, ce serait une pure illusion quand on sait d’une part que nous sommes dans un monde globalisé où la mobilité des hommes est rapide et facile et d’autre part, que le mode de transmission du covid-19, selon les spécialistes, est interhumain. Toutefois, nous pouvons concéder aux critiques. Mais attention ! Même si comparaison n’est pas raison, le Togo fait mieux en matière de gestion de la crise sanitaire que beaucoup d’autres pays dans le monde. Nous avons dès le début de la crise, pris des mesures exceptionnelles qui vont de la fermeture des frontières à l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes en passant par la fermeture des écoles, instituts de formation, universités, lieux de cultes, etc. Ce sont des mesures courageuses de prévention qui sont prises sous le leadership du chef de l’Etat au moment même où la situation n’était pas alarmante. Nous avons identifié des structures sanitaires pour accueillir les personnes contrôlées positives au covid-19. Celle de Lomé qui a été réhabilitée très rapidement, soigne, à ce jour, dans des conditions jugées excellentes par certains patients eux-mêmes, toutes les personnes ayant contracté le virus ».
A ce sujet, le Togo dispose-t-il, à ce jour, des capacités techniques pour traiter les malades ?
« Tout est mis en œuvre pour que le personnel soignant puisse travailler dans des conditions optimales de sécurité et d’équipements. La santé était déjà inscrite au rang des priorités du nouveau quinquennat du président de la République. C’est pour cela que, prenant la mesure de la situation, il a donné des consignes fermes pour que le plateau technique des hôpitaux à Lomé et à l’intérieur du pays soit relevé. Nous avons commandé des centaines de respirateurs, des scanners et autres équipements lourds pour aider le corps médical à faire face à la situation. Tous les jours, nous recevons du matériel médical de base pour organiser la riposte partout dans le pays. Nous disposons d’un grand nombre de tests rapides et nous allons déployer de surcroît, à l’intérieur du pays, des laboratoires mobiles pour diagnostiquer les éventuels cas. Outre le volet concernant les matériels et équipements, un accent est mis sur le renforcement de capacités opérationnelles du personnel soignant en matière de prise en charge de l’infection au covid-19. Donc pour répondre à votre question, oui, le Togo a les capacités pour soigner les malades. D’ailleurs, les chiffres que nous recevons chaque jour montrent un taux encourageant de remissions ».
Revenons aux mesures annoncées par le chef de l’Etat le 1er avril. Vos compatriotes se demandent pourquoi instaurer un couvre-feu si le Togo n’est pas en guerre ?
« Le Togo, comme tous les autres pays touchés, est en guerre contre ce que le chef de l’Etat a qualifié « d’ennemi invisible ». Et ce n’est pas un euphémisme. Partout dans le monde, les Etats prennent des mesures parfois encore plus restrictives que ce que le Togo a fait. Ce couvre-feu n’a pas été instauré par simple plaisir. Le virus est très contagieux et donc, il est impérieux de rompre, par tous les moyens, la chaîne de transmission au sein de la population. C’est le but ultime du couvre-feu. C’est vous dire que la situation sanitaire appelle à la prise de décisions courageuses et parfois impopulaires. Nous l’assumons. Si nous ne pouvons pas, pour des raisons évidentes, nous permettre de confiner la population chez elle, nous devons néanmoins faire en sorte que tout le monde soit chez lui entre 20 heures et 06 heures du matin. Cette tranche au cours de laquelle des quartiers entiers grouillent de monde peut aussi permettre de sauver énormément de vies ».
Mais des images de violences policières sur cette tranche horaire ont circulé sur les réseaux sociaux… ?
« En tant que journaliste, vous savez mieux que quiconque que nous sommes à l’ère des fake news où foisonnent des informations souvent truquées. Alors, quel est le crédit à accorder aux images qui circulent sur les réseaux sociaux ? Cependant, nous avons été informés de certains cas de bavure. Le gouvernement a immédiatement pris des mesures pour que de pareils faits ne se répètent plus. En ces périodes, des individus mal intentionnés profitent pour semer le désordre. C’est donc aussi et surtout pour protéger les populations et leurs biens que la force spéciale anti-pandémie a été créée ».
Fallait-il créer une force spéciale à cet effet ?
« Pas nécessairement. Mais ce choix a été fait par le chef de l’Etat et par le gouvernement parce que les agents mobilisés dans le cadre des récentes élections organisées au Togo ont accompli leurs missions avec un professionnalisme salué par tous. Et comme ils ont été formés pour gérer les situations conflictuelles sur le terrain avec beaucoup de tact et d’humanisme, nous avons jugé bon de les mobiliser encore dans cette période où des tensions liées à l’application des mesures de protection prises dans le cadre de la loi (mesures parfois restrictives des libertés publiques et individuelles) peuvent apparaître. Il ne s’agit en aucun cas de militariser la lutte engagée contre le coronavirus comme nous avons pu, malheureusement, l’entendre ici et là ».
Le gouvernement a pris des mesures qui s’imposent dans les transports… Mais les mouvements d’humeur des taxi-motos ont semblé imposer une marche arrière forcée. Qu’en est-il, monsieur le Premier ministre ?
« Non, nous n’avons pas cédé face à un quelconque mouvement d’humeur. Le président de la République a clairement indiqué dans son adresse à la nation qu’ «aucun Togolais ne sera laissé pour compte». Il a également affirmé qu’il était attentif aux propositions constructives pour sortir de la crise. C’est cela, un dirigeant à l’écoute de sa population. Faut-il le rappeler, la crise sanitaire du coronavirus soulève concomitamment des défis sur le plan économique, social, sécuritaire et j’en passe. Lorsque nous avons pris les mesures interdisant pendant la période de l’état d’urgence l’activité des « Zémidjan », nous avons indiqué que des mesures spécifiques de soutien allaient suivre pour les aider à faire face à la situation. Mais comme ces mesures tardent un peu en raison de la complexité technique de leur mise en œuvre, nous avons décidé de prendre un moratoire de quelques jours avant l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles. A la lumière de ce qui vient d’être dit, vous comprenez bien que ce n’est ni l’amateurisme ni du cafouillage. Au contraire, c’est la preuve évidente du sens d’écoute du chef de l’Etat ».
Qu’en est-il du programme de transferts monétaires annoncé par le président Faure Gnassingbé ?
« Ce que je peux vous affirmer, c’est que ce programme est une innovation sociale qui va être déroulée dans une transparence totale grâce aux outils technologiques. Il sera lancé incessamment et permettra aux personnes vulnérables impactées par les restrictions imposées par la lutte contre le covid-19, d’avoir un minimum vital ».
Faut-il s’attendre à d’autres mesures sociales en dehors de celles annoncées le 1er avril ?
« Cela dépendra évidemment de la situation sur le terrain. Je le répète, aucun Togolais ne sera laissé pour compte. L’Etat prend déjà en charge les tranches sociales d’eau et d’électricité. En plus, les prix des produits pétroliers ont été revus à la baisse et dans le même temps le gouvernement fait des contrôles inopinés pour que les prix des denrées de première nécessité ne flambent pas sur les marchés. En clair, le président fera tout ce qui est en son pouvoir pour que cette crise n’ait pas de répercussions désastreuses sur nos concitoyens, surtout les plus vulnérables ».
« Aussi faut-il rappeler qu’un peu plus d’un millier de prisonniers ont recouvré leur liberté dès le 02 avril, au lendemain du discours du chef de l’Etat. C’est une mesure salutaire prise pour enrayer la promiscuité qui pourrait être une source de propagation rapide de la maladie en milieu carcéral. D’ailleurs, le président de la République avait déjà instruit le ministère de la justice de faire prendre les mesures d’hygiène nécessaires dans tous les centres de détention du Togo pour éviter une épidémie dans ces lieux. Je vais encore devoir le répéter, aucun Togolais n’est laissé pour compte ».
L’économie togolaise va être fortement impactée par la crise, naturellement. Qu’est-ce qui est fait pour les entreprises qui soutiennent la croissance économique de ces dernières années ?
« Nous avons initié des rencontres avec les acteurs du secteur privé pour étudier les meilleures attitudes à adopter afin d’apporter des réponses concertées à la situation et éviter un chaos économique. Plusieurs mesures fiscales (allègement et/ou report des charges fiscales, exonération des droits de douanes et taxes sur les produits et équipements entrant dans le traitement du covid-19, etc.) ont ainsi été prises par le gouvernement pour soulager les entreprises dans ces moments difficiles. Il y a aussi la réflexion au niveau communautaire qui est menée pour trouver des solutions idoines pour sauver les entreprises. Là aussi un travail se fait pour donner une réponse graduée et concertée aux entreprises qui créent des emplois et la richesse dans notre pays ».
Nous sommes déjà en avril et les écoles et universités sont fermées. Peut-on envisager une année blanche au Togo ?
« Même si pour le moment nous ne savons pas exactement comment cette crise va se dénouer, nous pouvons affirmer que tout est mis en œuvre pour que l’année ne soit pas blanche au Togo. Justement, nous avons instruit les ministres en charge de l’éducation et de la formation professionnelle à ce sujet. Dans le respect des règles de l’état d’urgence sanitaire, plusieurs pistes sont explorées pour que les activités pédagogiques puissent reprendre, à distance, pourquoi pas via les supports numériques, radiophoniques, etc. ». « Face à cette crise sanitaire mondiale, j’en appelle au sens élevé des responsabilités individuelles et collectives de nos compatriotes pour respecter toutes les mesures de prévention et de protection prises par le gouvernement. L’heure est à l’union sacrée et à la solidarité pour qu’ensemble nous puissions vaincre le coronavirus. A la suite du chef de l’Etat, j’invite toutes les bonnes volontés à accompagner le gouvernement dans cette lutte acharnée contre la propagation du covid-19 dans notre pays. Nous avons des raisons d’espérer. Je demande à tous nos compatriotes de rester sereins, déterminés et surtout d’éviter la psychose ».