Référence en matière d’art, de design et de musique, la capitale allemande n’a pas fini de surprendre par sa folie et sa beauté. Capitale mais aussi la plus grande ville du pays, Berlin compte près de 3,87 millions d’habitants. Berlin n’a pas ignoré les héritages du passé. Berlin a été, dans le courant de l’histoire et au sein de différents régimes, siège royal et capitale du Brandebourg, de la Prusse et de l’Empire allemand jusqu’à sa chute en 1945. À partir de 1949, la partie orientale de la ville devient la capitale de la République démocratique allemande. Lors de la réunification en 1990, Berlin est hissée au rang de capitale de l’ensemble de l’Allemagne. Son urbanité est avant tout une action qui engage l’avenir, parfois à long terme, pour plusieurs générations, voire plusieurs siècles. L’apport de la réflexion prospective est donc indispensable. Mais elle ne doit pas être dévoyée en futurologie. La prospective s’appuie au contraire sur une connaissance de l’histoire qui insuffle une grande prudence à l’égard de l’innovation et du changement à tout prix comme des continuités linéaires.
Le Mur et la Conférence de Berlin
Entre 1945 et 1989, la ville est séparée en deux par le Mur de Berlin et ce n’est qu’en 1990 qu’elle redevient capitale de la République fédérale d’Allemagne. Le visiteur peut découvrir les restes du Mur de Berlin décoré par des artistes du monde entier ou son Mémoriel assez émouvant. Une belle leçon pour nos pays africains : l’écrivain togolais Kangni Alem reconnait : « Nos frontières sont nées à Berlin et Berlin n’a plus de frontière. »[i] Dans la politique mémorielle de la ville, le contenu du programme relatif à la commémoration des 140 ans de la Conférence de Berlin (de novembre 2024 à février 2025) se décline déjà sous nos yeux. La stèle commémorant ce maillon historique trône en plein centre ville de Berlin avec un titre en français : « Se souvenir, se réconcilier. Tous ensemble portons la responsabilité pour se tourner vers l’avenir. » Il s’agit de l’abaissement, la privation des droits, la dépossession des Africains ainsi que la destruction des cultures singulières du continent africain. Le 15 novembre 1884, la Conférence de Berlin s’est déroulée en ces lieux. On la nomme aussi la « Conférence du Congo ». L’ancien chancelier de l’empire allemand, Otto von Bismarck, avait invité les principales puissances présentes à l’époque en Afrique : l’Angleterre, la France, la Belgique, le Portugal, l’Italie, l’Espagne, l’Empire ottoman et les Etats-Unis. L’Afrique et les Africains ont été le sujet de la conférence, mais en étaient exclus en tant qu’individus politiques : aucun participant africain n’était invité. Le roi de la Belgique, en particulier, avait réclamé ses intérêts privés dans le bassin du Congo conduisant à des tensions entre les pouvoirs du colonialisme. La volonté de Bismarck était de désamorcer ces conflits et de les canaliser à travers des accords multilatéraux. L’intention première de sa politique n’était pas de partager l’Afrique mais d’équilibrer les intérêts au soin des puissances européennes et non européennes. Cependant le résultat de l’ajustement des intérêts de ces pays est allé à l’encontre de l’Afrique. Ainsi, la « Conférence de Berlin » a marqué un tournant historique en passant d’une politique d’expansion progressive avec des colonies isolées vers un partage complet de l’Afrique (à l’exception de l’Ethiopie et du Libéria). Une colonisation plus efficiente à travers une acceptation respective des puissances coloniales en a été la conséquence au début du 20ème siècle.
Les composantes majeures du patrimoine matériel et immatériel
Monuments, murs abîmés ou immeubles à l’architecture d’inspiration soviétique, où que nous allions, la ville est l’une des plus jeunes d’Europe, fortement tournée vers le futur. Bouillonnante de jour comme de nuit, grâce à son dense réseau de transport en commun, on peut y faire la fête, danser, se promener à vélo surtout, découvrir des musées à ciel ouvert et des ginguettes au bord de l’eau. Pour les artistes et les créateurs, Berlin est un peu comme le New York des années 60, une ville effervescente où tout est possible avec un zeste de folie.
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Berlin fourmille d’histoire et ses milles monuments sont là pour nous le rappeler à chaque coin de rue. Le Reichstag, l’île aux Musées dont la Fondation Humboldt Forum au sein du château de Berlin, celui de l’Empereur Guillaume II, un complexe muséal immersif et participatif, alliant les nouvelles technologies de l’information et de la communication aux techniques traditionnelles d’exposition. Situé dans le centre historique de Berlin, constitué des collections des musées nationaux de Berlin, du Musée de la ville de Berlin et de l’Université Humboldt de Berlin, cette mastodonte renferme dans ses entrailles une riche collection coloniale en provenance des colonies africaines de l’Allemagne dont le Togo. Le Mémorial de l’Holocauste avec sa dimension européenne (Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe : champ de stèles et centre d’information) s’étend sur un champ de stèles de 19.000 m2 avec plus de 2 700 blocs de béton et le centre d’information situé en dessous sont des visites indispensables lors de notre passage dans la ville. On peut profiter aussi de notre séjour pour découvrir un aéroport abandonné transformé en parc végétalisé, monter au sommet de l’immense tour de télévision qui surplombe la ville où qu’on se trouve, voguer sur la Spree ou visiter une ancienne gare métamorphosée en musée d’art contemporain sans oublier la Porte de Brandebourg. Nous pourrons aussi déguster avec délice une currywurst, spécialité berlinoise, tester le barbecue coréen dans l’une des adresses les plus cosmopolites de la ville ou réserver une table chez Cookies Cream, le restaurant végétarien connu dans le monde entier. A Berlin, nous pouvons dormir dans une ancienne ambassade avec vue sur la vieille ville, die Alte Stadt, dans un hôtel extravagant installé dans une usine reconvertie ou louer un appartement design au cœur de la ville. Ici, tout est délicieusement underground et décalé, mais tellement vitaminé. Il s’agit également de l’une des rares villes européennes où l’eau de robinet demeure encore potable…
Patrimoine et dynamique urbaine
La problématique de la conservation du patrimoine bâti face à la dynamique urbaine est une réalité à Berlin. Le visiteur a la preuve de comment conserver le cadre urbain et l’architecture ancienne tout en permettant leur évolution harmonieuse au regard des fonctions urbaines contemporaines. Les villes n’étant pas figées, comment doit se faire son évolution qui tienne compte à la fois des nouvelles fonctions qu’elle doit assumer et de la nécessité de protéger son tissu ancien? De quoi doit-on tenir compte dans les opérations d’aménagement des villes pour ne pas détruire leur histoire et leur identité? Le concept de « patrimoine urbain » est lié à l’idée de système urbain qui résulte d’une stratification, dans le temps, de plusieurs éléments. C’est l’ensemble des évolutions, de tous les mouvements, qu’ils soient positifs ou négatifs, que connaît une ville.
En effet, la ville est essentiellement définie comme un lieu en permanente évolution, où la dynamique est donnée par le changement continu. La ville existe parce qu’elle se transforme continuellement dans le bon sens. Ce renouvellement urbain est, en urbanisme, une forme d’évolution de la ville qui désigne l’action de reconstruction de la ville sur elle-même et de recyclage de ses ressources bâties et foncières. Bref, c’est le recyclage du bâti à partir d‘une action de reconstruction de la ville sur elle-même qui vise à traiter les questions sociales, économiques, urbanistiques et architecturales de la ville à l’instar de Berlin.
La métropole est considérée comme une ville mondiale de la culture, de la politique et des médias, et a été nommée «Ville de Design» par l’UNESCO. A Berlin, passé, présent et avenir n’ont pas été envisagés indépendamment. La prospective en question se nourrit de l’analyse historique, en particulier en longue durée. Les propositions pour le futur reposent sur le diagnostic de l’état actuel et des tendances passées. Le temps est également pluriel : à la longue durée des historiens, du patrimoine accumulé et du paysage façonné par les siècles, se superposent la durée des générations et des cycles économiques et celle des cycles naturels.
Adama AYIKOUE, Gestionnaire de Patrimoine culturel
[i] Kangni ALEM, La gazelle s’agenouille pour pleurer, nouvelles, Editions Acoria, Paris, 2000, P.165.
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