Devenir cinéaste, particularité du métier, qualités du cinéaste, processus de création, difficultés et avantages du métier… Joel Tchédré met en lumière, dans cette interview exclusive avec Le Nouveau Reporter, un métier passionnant, mais prenant et exigeant : le cinéma. Plus qu’un métier, un art qui convoque et conjugue moult savoirs, savoir-faire, compétences techniques et philosophiques…et un sens poussé de l’esthète. Producteur, réalisateur, enseignant, responsable de l’Association togolaise du cinéma numérique ambulant et directeur de festival de film « Emergence », il est un acteur du cinéma à plusieurs casquettes. Et il s’affirme ainsi comme un acteur important de la scène cinématographique togolaise depuis quelques temps. Son expérience diversifiée nous a poussée à le rencontrer. Interview.
Le Nouveau Reporter : Comment devient-on cinéaste ?
Joël Tchédré : il y a plusieurs manières au Togo ou ailleurs, d’intégrer un métier, de façon générale et le cinéma en particulier. De façon classique, il faut peut-être passer à la base par une école de cinéma et les écoles, il y en a un peu au Togo (deux ou trois écoles de cinéma), en Afrique, en Europe et ailleurs. Il faut après, choisir une filière donnée dans votre parcours à l’école, selon ce que vous voulez faire exactement, si vous voulez être technicien, réalisateur, auteur, producteur, etc. L’école peut vous conférer des connaissances qui vous permettront d’intégrer le métier, après avoir fait des stages ou des plateaux et essayer de faire des productions. On peut aussi, comme dans tous les métiers, apprendre le cinéma sur le tas; c’est –à-dire, en intégrant une équipe de cinéma qui tourne assez. Et, aujourd’hui même, en apprenant quelques cours sur internet et en asseyant de les appliquer, ou en suivant une formation de remise à niveau modulaire, qui ne soit pas forcément dans une école de cinéma, qui vous donne des outils qui vous permettront d’exercer le métier.
LNR : Quelles sont les qualités à avoir ou à développer pour réussir comme cinéaste ?
J. T. : De manière générale, il y en a plusieurs. Le cinéma se retrouve dans le domaine de l’art, le septième art comme on l’appelle. Cela veut dire que vous devez être artiste. Que vous soyez technicien, auteur ou réalisateur, vous devez avoir un coté acteur, c’est-à-dire de quelqu’un qui crée et qui a pour objectif de partager son monde, ses œuvres avec son public. C’est ce côté artistique qu’il faut développer. Parce que, lorsque vous faites un film ou participez à la réalisation d’un film, vous signez dans la générique du film et dès que vous signez en générique d’une œuvre, cela veut dire que vous avez participé artistiquement ou techniquement à raconter l’histoire de l’œuvre qui est à l’écran. Ensuite, il faut beaucoup de rigueur et de patience, parce que ce n’est pas un métier ordinaire, ici vous faites des œuvres qui vont être vues, qui vont être jugées par des gens qui sont de cultures différentes, donc il faut tenir compte de cela.Comme cinéaste, vous écrivez pour une cible donnée et donc, dans votre démarche de production, vous ne tenez forcement pas compte de ce que le public veut. Parce que vous êtes aussi un artiste et vous proposez ce qui vient de votre âme. Mais vous devez penser quand même au public qui sera le consommateur final, pour atteindre votre objectif.
LNR : Quelle est la particularité de ce métier, comparé aux autres ?
J.T. : La particularité du cinéma, c’est qu’il se retrouve à cheval entre l’industrie dans sa globalité et le domaine l’art. Lorsque Vous êtes cinéaste, vous êtes appelé à faire un film d’auteur (Ndlr : un film qu’on fait pour exprimer quelque chose qui peut plaire ou non, donc pas un film grand public, difficile à cerner, qui peut faire gagner de l’argent) ou un film dans le business que j’ai appelé l’industrie, pour faire du commerce. Ce que les grandes industries du cinéma telles que Hollywood et Nollywood et certaines industries du cinéma européen produisent aujourd’hui en tenant compte des envies du public et lorsqu’ils font ce genre de cinéma, ils sont sûrs de remplir les salles de cinéma et de rentabiliser, parce que c’est un domaine qui coûte assez cher. C’est cela aussi, la particularité du cinéma, c’est qu’il coûte très cher. C’est de budgets très énormes, vous vous retrouvez facilement dans des budgets de 1,5 milliards ou 2 milliards de FCFA de FCFA, voire plus. Donc ce n’est pas comme d’autres domaines artistiques où on a besoin de moins de moyens. Car, il y a plusieurs autres branches artistiques et même d’autres activités connexes qui n’ont rien à avoir avec les activités artistiques qui rentrent dans le cinéma. Par exemple, dans un décor, vous avez besoin d’un menuisier ou charpentier par exemple ou d’un mécanicien auto. C’est selon l’histoire que vous voulez raconter. On peut multiplier les métiers. Presque tous les métiers qui peuvent exister et un film peut employer jusqu’à 1000 ou 1500 personnes, voire plus et chacun doit être rémunéré.
LNR : A côté des difficultés, quels avantages tire le cinéaste de son métier ?
J.T. : Dans ce métier, je pense que les premières difficultés dans nos pays comme le Togo particulièrement, c’est de pouvoir trouver toutes les compétences nécessaires qu’il faut, pour faire une production d’une qualité irréprochable, exportable comme on le dit. Parce qu’il n’y a pas assez d’opportunités de formations qui permettent aujourd’hui de pouvoir trouver sur un plateau par exemple certaines postes. Et pour y remédier, des postes sont occupées par des chefs de postes. L’autre difficulté, c’est de réunir les moyens, parce qu’il n’y a quasiment pas de guichet pour l’instant et même dans les grands pays où il y a des guichets, c’est un peu compliqué aussi de réunir des moyens pour le faire. Après la production, il faut trouver des distributeurs qui fassent en sorte que votre film circule, ça aussi, c’est un gros problème.
Maintenant, les avantages, c’est que quand vous faites des films commerciaux par exemple vous pouvez avoir des grandes rentabilités. Lorsqu’un film marche, vous pouvez faire beaucoup de salles et vous allez gagner dix fois que ce que vous avez dépensé. Ensuite, je pense que ce sont des œuvres de mémoire. Que ce soit de la fiction ou du documentaire, on arrête le temps. Des films qui ont été faits en 1970 ou en 1980, quand on les visionne aujourd’hui, on voit des modes de vie qui ne sont pas forcément des modes de vie d’aujourd’hui. Ce sont des archives et c’est grâce quand même au cinéma qu’on peut revisiter le passé. Aussi, les avantages pour ceux qui l’exercent, est qu’ils peuvent être amenés à faire beaucoup de voyages avec leurs productions et les présenter, tout en se confrontant à d’autres cultures.
LNR : Au Togo, peut-on estimer que le métier a de l’avenir ?
J.T. : Le cinéma au Togo fait son petit chemin comme dans la plupart des pays qui ont pris à cœur de développer ce secteur. Heureusement, depuis maintenant au moins une dizaine d’années, à partir de l’année 2010 jusqu’aujourd’hui, nous avons constaté une véritable volonté politique pour le domaine du cinéma, avec comme résultat, quelques avancés. Donc, actuellement, il y a un code national du cinéma et de l’image animée, ce qui fait du cinéma une loi et un métier reconnu et règlementé. A travers ce code, il y a le centre national du cinéma et de l’image animée qui est créé et qui est l’organe qui va aider à faciliter le dialogue entre le gouvernement et les cinéastes, ce qui peut facilement promouvoir notre cinéma à l’échelle nationale internationale. Et à la clé, il y a le fond de soutien au secteur du cinéma et de l’audiovisuel qui vient d’être adopté et qui fait en sorte que le cinéma va être soutenu officiellement par l’Etat togolais.
LNR : Merci!