L’ancien Premier ministre béninois dont la mère est française, Lionel Zinsou a publié une tribune sur sa page Facebook et dans le magazine « Le 1 ». Il y fait référence – au centre de la question des identités – au décès funeste de George Floyd, cet américain étouffé sous le genou d’un policier blanc.
« Longtemps, j’ai cru qu’être noir ou blanc n’avait aucune réalité intime, que seules comptaient les barrières de classe, que les mérites républicains fabriquaient des vies réussies. George Floyd, des millions d’hommes, de femmes et de jeunes ont formé dans deux cent pays le plus long cortège funèbre de l’histoire. Vous étiez le fidèle d’une église réformée de Houston, qui ne regarde pas la mort comme un moment de désespoir mais comme un rassemblement des solidarités et des espérances. Vous avez, en un jour, créé des millions de black, de nègres, de niggas… de toutes les couleurs et qui crient dans toutes les langues leur rejet des lynchages et de l’injustice ordinaire », a introduit Zinsou.
« Quelle que soit leur condition, qu’ils soient d’une communauté minoritaire appauvrie, reléguée et suspecte ; qu’ils soient une force majoritaire et libre ; qu’ils soient unis ou travaillés de divisions ; qu’ils forment nations ou tribus hostiles, chacun se demande dans ce qu’il a de plus intime : « suis-je assez Noir ? ».
C’est-à-dire…
« Assez solidaire, assez vigilant, assez conscient des séquelles contemporaines de l’esclavage, de l’apartheid ou du travail forcé. Et, vous mes petits-enfants, Florence et Nathanael aux yeux pers, Ayo, notre petit Yoruba blond, vous vous poserez la même question. Votre Afrique est restée pour le monde ce que les minorités afro-américaines sont restées pour les Amériques : l’envers et la négation du progrès des autres. « Serez-vous assez Noirs ? ». C’est à dire assez rebelles, assez révoltés, assez fiers, assez confiants. Et moi, le « Sang-mêlé », né incolore, puis-je jouer tout seul mon destin ; puis-je survivre seul et sans couleur quand tant de femmes, d’hommes et d’enfants sont prédestinés à l’inégalité et à la souffrance des destins volés ? »
« Banquier en France, j’ai bien réussi pour un Noir »
« Premier ministre en Afrique, j’ai bien réussi pour un Blanc. Je me suis ému en son temps de la création d’une association représentative des Noirs de France. Comme si nous devions nous définir par le seul regard des autres, qu’il soit de sympathie, de désir ou de haine, et comme si nous devions nous accepter comme une minorité parce que nous étions « visibles ». Aujourd’hui je crois que je comprends. Les jeunes générations manifestent pour dire l’invisibilité des couleurs et l’universalité des valeurs. Il n’y a, dans une vie réussie, que ce qu’on fait pour effacer des haines avec du Droit et des libertés. Que les polices soient noires ou blanches, exactement comme leurs victimes, il n’y a qu’un choix qui compte : celui de s’engager pour ceux qui n’ont pas le choix de leur destin. Valeurs contre couleurs, grandeur de l’invisible et misère du visible, marches de fierté et droit de s’indigner. Merci George, j’ai compris ».