Dans sa biographie écrite par Olivier TODD, Albert CAMUS nous confie ses regrets artistiques : « Si j’avais pu me donner un talent en naissant, j’aurais été sculpteur. Pas écrivain, mais sculpteur avant même d’être footballeur ou acteur. Pour moi, la sculpture est le premier des arts. » Plus loin, il ajoute : « On peut dire de tous les arts qu’ils ne sauraient vivre sans public. Mais du moins la valeur d’une sculpture (…) poursuit ses juges en dehors du public. »
La sculpture en général porte sur les matières animales, végétales et minérales. La spécificité du minéral qu’est le sable constitue une nature assez particulière pour être un matériau de travail d’un sculpteur comme c’est le cas du Togolais Bob Beaubyssan Sodjinè Atisso. Il s’agit de l’art éphémère qui englobe la sculpture sur glace, de feu et sur sable. Le sable, puisque c’est de celui-ci qu’il s’agit, est un ensemble de petits grains minéraux (quartz) séparés, recouvrant le sol. Le sable, qu’il soit des plages, des rivières ou des déserts, n’a de secret pour Bob Atisso, qui le façonne en y apposant son empreinte artistique.
Entre deux métiers :
« J’avais vingt ans et justement à l’époque j’abandonnais mes études, et je désirais devenir un disc-joker dans une boite de nuit ! Pour mon père, ce n’était pas là un métier sérieux, lui me proposait de devenir plutôt déclarant en douane … »
C’était en 1999, Bob Atisso allait devenir Disc-joker. Son géniteur, enseignant des Sciences de la vie et de la terre et directeur de collège de surcroît s’y était naturellement opposé.
A partir de l’an 2000, Bob Atisso était donc à la croisée des chemins. Il penchera provisoirement du côté d’une formation professionnelle puisqu’il suivra une formation de 12 mois de déclarant en douane. Comme dans la plupart des familles africaines et togolaises, son père n’a jamais réellement vu d’un bon œil tout autre métier que celui de clerc, « frustré qu’il est du fait que son fils ne s’est pas bardé de diplômes comme il l’aurait souhaité ».
Il avait ainsi l’obligation à ses débuts surtout de « sauter aux yeux » de ses parents pour les vaincre (et non les convaincre) qu’il est doué pour commencer une véritable carrière artistique. Ce qui ne tarda pas d’arriver. Pour le reste, le hasard et l’application s’en sont chargé.
Une vocation au hasard des hasards :
« Je me trouvais sur le chantier de la nouvelle maison de mon père à Aného. Pendant que les ouvriers travaillaient, moi je tuais le temps en sculptant dans le tas de sable marin… Et quelle avait été l’admiration des maçons quand ils avaient vu ma sculpture ! C’était juste un visage humain, mais ils n’arrêtaient pas de me féliciter !»
Bob Atisso reconnaît volontiers que les œuvres de Marcos Frota incarnant Tonio de la Lune dans le télénovelas brésilien Femmes de sables sur les plages de Pontale l’ont influencé.
De même, sur la plage de Lomé à la faveur d’une dernière étape d’un Tour cycliste du Togo il a émerveillé le public : « Ce jour-là, je me trouvais à la plage devant l’Hôtel Le Bénin où devait aboutir une course cycliste. Le chanteur Jimi Hope était également là et tout le monde attendait impatiemment l’arrivée des coureurs, ce qui déclencherait le début du grand spectacle. La plage grouillait de monde et moi, tout naturellement, je me mis à amasser tout un tas de sable fin doré que je sculptais avec passion : c’était une femme couchée nue. Grande était l’admiration du public ! Ce jour-là, je rentrai à la maison avec des tas de cartes de visite, d’adresses et de menues pièces de monnaie ! A partir de ce jour, j’ai commencé à prendre au sérieux cet art nouveau. »
Une autre rencontre avec le public avait eu lieu à l’occasion de la fête de la Saint Valentin au niveau du boulevard circulaire, à proximité de la mer à Lomé. L’artiste témoigne :
« Je rêvais de sortir de l’ombre, de faire connaitre cet art au grand public d’où cette idée de faire la démonstration de la sculpture de sable en pleine rue, du 12 au 18 février 2007. Cela va sans dire que la date du 14 février, la Saint Valentin, fête des amoureux étant incluse, j’en ai profité pour faire des amants grandeurs nature, voire des géants.»
Le travail artistique de Bob Atisso :
Selon le sculpteur, « la grande partie du travail réside dans la préparation du sable. Il est très important de le rendre compact en le mouillant avec de l’eau. Ensuite, il faut le damer pour qu’il soit rigide. Tout ceci détermine la longévité de l’œuvre. Il n’y a pas de prédisposition particulière à l’exercice de ce métier. Je n’ai fait aucune école de formation dans le domaine pour sortir une théorie. La seule exigence est d’avoir le minimum de connaissance en dessin. Il est évident que vous ne pouvez pas faire de la sculpture de sable si vous ne savez pas représenter ce qui vous entoure sur une toile ou un papier. »
Bob Atisso, désormais sculpteur de sable, a réussi à transformer sa passion en métier grâce à sa volonté et persévérance. Au Togo, sa première exposition portée par une institution a eu lieu du 10 au 30 novembre 2008 au Centre culturel français de Lomé : « Le drôle de trône pour un serviteur du peuple ». Un homme avec une tête d’épervier en costume et très élégant est assis sur un canapé fabriqué à partir de très belles créatures, de jolies femmes à genoux, toutes nues. La même année, il a participé à la 8è édition des Rencontres et Résidences Internationales d’Arts Visuels, EWOLE que dirigeait le plasticien et designer Kossi Assou.
Entre autres expositions, celles de 2019: exposition au Complexe Pyramides à Lomé ; exposition au cours du Festival International des Lettres et Arts (FESTILARTS) à l’Université de Lomé sur le thème « Fluidité identitaire et construction de changement » et l’exposition à la Foire Internationale de Lomé. En 2020, l’exposition Ensablée à l’Institut Français du Togo et en 2022, Azadi Ka Amrit Mahotsav celebration avec l’ambassade de l’Inde au Togo.
Le parcours international entre festivals et compétitions :
En 2018Bob Atisso était à la 25è édition du Marché des arts et spectacle d’Abidjan (MASA) en Côte d’Ivoire et était revenu en 2021pour les Rayons de lune à la Rotonde des arts à Abidjan.
Aux éditions de 2011, 2015, 2017, 2019 et 2021deKonark International Sand Art Festival in Puri (Inde), le sculpteur de sable était présent. Respectivement en 2014 et 2018, il était au Taiwan World Sand Sculpting Championship et au Taiwan World Sand Sculpting. Il a participé à trois festivals en 2017 : Sentosa Sandsation (Singapour) ; Ruse Sandfest (Bulgarie) ; Forgotten Land Sandsculpture Park in Phan Thiet (Vietnam). Il était au Japon pour la 29è édition de Fukiage Dunes Festival à Minamisatsuma en 2016. En 2015, deux rencontres : CNE Sand Sculpture Pairs Contest à Toronto (Canada) ; KARLS 1 Berliner Sandwelt (Allemagne). Il a travaillé sur les plages du Koweït en 2013 lors du Remal International Festival. 2011 et 2013, il a sculpté le sable au cours du 10è et 12è International Sand Sculpture Festival ‘’Peter and Paul Fortress à Saint Petersburg (Russie). En 2013 il était au Festival de sculpture de sable à Port-La-Nouvelle (France). La même année, il a été accueilli au Helsinki Zoo International Sand Sculpting Competition (Finlande). Le Danemark a été son point de chute en 2012 et en 2013 pour les deux éditions du Copenhague International Sand Sculpture Festival.
En 2017 il a eu le deuxième prix au cours du Sentosa Sandsation et le premier prix au Ruse Sandfest. Durant 2014 il a reçu la médaille d’argent au Taiwan World Sand Sculpting Championship. La moisson a été bonne au cours de l’année 2013 : deux médailles d’argent à Saint Petersburg et à Helsinki ; la médaille d’or et le prix du public à Copenhague. En 2011 il a également remporté le prix du public en Inde.
Soulignons que la sculpture de sable est née en Afrique, plus précisément dans l’ancienne Egypte. Mais il se trouve que cet art est moins connu sur ses plages d’origine. Cela fait 20 ans que Bob Atisso parcourt les plages d’ici et d’ailleurs muni de seau d’eau, de pelle et de racloir. Il aimerait être vraiment secondé : « Je suis esseulé dans cette forme d’expression artistique au Togo et dans la sous-région ouest-africaine. Cela me gêne de temps en temps pour imposer mon travail sur l’échiquier national et sous-régional ». Bob Atisso à travers ses créatures rend hommage à la femme et à la vie quotidienne en Afrique. D’une extrême précision, il fait ressortir du sable des architectures, des formes humaines et animales. Son ambition est de faire connaitre davantage cet art et surtout de transmettre ce savoir-faire à la future génération.
Adama AYIKOUE
Critique d’art.