Son « entre-deux » est à dominante rouge. Une couleur qui lui permet de célébrer la vie et de peindre le choc de toutes ces femmes qui, en attendant de donner la vie, subissent des pressions, des traumatismes…dus à un certain regard étriqué de l’entourage, de la société. Ces laissées-pour-compte, leurs questionnements, leurs angoisses, leurs peines, leurs espoirs…. animent les toiles que Manouchka Shams expose à l’hôtel Onomo à Lomé sous le thème générique de « l’Entre-Deux » jusqu’au 21 novembre prochain. Dans cette interview, cette âme curieuse et rêveuse, cette personnalité à la fois joyeuse et mélancolique fait montre d’une observation critique et d’une sensibilité qui ne manque pas de questionner son monde autour des notions de parentalité et de génitalité.
Combien de temps la création de ces œuvres vous a-t-il coûté, sachant que vous avez une occupation professionnelle autre que le travail artistique ?
Manouchka Shams : J’ai commencé à travailler sur l’exposition dès le mois de février 2021. Nous sommes aujourd’hui en octobre, je peux donc dire que ça a duré 9 mois. Et aussi affirmer que cette exposition est un peu mon bébé. J’estime que mes tableaux sont comme mes enfants. Je les affectionne beaucoup. Même si le travail est fatigant, il me procure beaucoup de joie et de satisfaction. J’aime à généralement dire que j’ai eu « des pannes » qui relèvent de la fatigue et non de pannes d’inspiration.
Fatigue justifiable puisque le fait d’allier mon propre boulot à celui de la peinture ou de la création artistique n’a pas été évident au quotidien. Le sujet en soi est drainant. Le fait même d’échanger sur le parcours avec certaines personnes qui m’ont généreusement livré leurs témoignages, psychologiquement, cela a été très sensible, mais au final ce n’est que du plaisir parce que le résultat est là. Et quand je vois les gens qui sont contents, qui y trouvent un intérêt, la fatigue et les difficultés sont derrière et jetées aux oubliettes.
Vous aimez souvent vous essayer, quelle est la place de l’essai dans votre cheminement artistique…?
Oui, j’essaye et c’est peut-être aussi un défaut parce que je commence beaucoup de choses à la fois et dès que je ne suis pas satisfaite, je m’arrête en chemin, je ne vais pas toujours au bout de ma démarche. Dans ce cas précis de mon travail artistique, j’avais des craintes. Au fond de moi, je me disais que la peinture était quelque chose de nouveau que j’essayais, sans savoir où elle me mènerait. Et finalement c’est génial ! Personnellement, j’encourage les gens à essayer. Même si c’est de la menuiserie, ou de la couture, de l’écriture, tout avec la main, essayez. On vit pour apprendre de nouvelles choses. Il faut être curieux et expérimenter…
Entre ce rouge dominant toutes vos toiles et la vie de la femme, quels sont les liens aussi forts et étroits ?
Le rouge chez une femme représente ses règles, c’est également l’accouchement. Pour moi, le rouge c’est la vie et la mort en même temps. Nous avons tous du rouge qui coule en nous, c’est une couleur universelle. C’est un symbole de la vie. « L’Entre-Deux », c’est une histoire de vie, ce n’est pas que de la mort. D’ailleurs, même les tableaux qui représentent des fausses couches, à travers ce rouge, célèbrent aussi la vie. Même s’il y a un choc et de la douleur, s’il y a une histoire qui est triste, il faut garder toujours espoir. C’est une ode à la vie. On est vivant, on célèbre le souffle de vie à chaque instant.
L’on a l’impression à travers vos œuvres que ce « rouge » s’adresse beaucoup plus à la femme…?
Absolument ! La femme est au cœur de la vie. Pour une femme qui désire avoir un enfant et qui n’y arrive pas, cela n’enlève rien à sa valeur de femme, encore moins, à sa valeur d’Homme. Elle doit garder la tête haute et continuer de faire confiance à l’univers, et bâtir sa vie autrement. Essayer de s’affranchir des pressions de la société…. c’est cela également, le but de l’Expo. Délivrer le message selon lequel il faut arrêter de mettre de la pression à ces femmes-là, elles ont mille et une choses à offrir. Et pour les femmes qui ont la grâce d’en avoir, prenez soin de vos enfants. Il ne s’agit pas uniquement d’en faire mais aussi et surtout de s’en occuper. Eduquons nos enfants, inculquons-leur les valeurs de l’amour, de la tolérance, etc.
Mais, vous n’occultez pas complètement les hommes…. ?
« L’Entre-Deux » est un message pour les femmes et les hommes. Quand on parle de couple, on parle de deux individus. Mais quoi qu’on dise c’est l’utérus qui porte l’enfant et c’est la femme qui porte la vie ; c’est vers elle qu’on se tourne quand ça ne va pas, pour la société c’est d’abord la femme le problème, ce n’est pas l’homme. Mais, c’est une exposition qui prend en compte le couple. Il faut pouvoir s’entraider et quand on a une femme qui se sent acculée par exemple par une belle famille, il faut que l’homme soit là et qu’il puisse prendre la défense de sa femme. Amour et bienveillance à tous les niveaux.
Au cours de la gestation de vos toiles, il y a eu sans doute des anecdotes, des joies, des peines, etc. en relation avec certains tableaux particulièrement…
L’œuvre la plus difficile à créer, sur le plan émotionnel, a été « la pseudo consolation ». Techniquement, ce n’est rien du tout parce que c’est juste des mots qui sont écrits, mais ce sont des mots à travers lesquels je me suis retrouvée et ils m’ont rappelé certaines choses que j’ai eu à entendre. Sur le plan technique, je ne dirai pas qu’il y en a un qui a été plus compliqué qu’un autre puisque les œuvres sont toutes différentes. Je me suis surtout amusée. En un mot, j’ai vraiment essayé de prendre du plaisir d’abord et même dans les difficultés je me suis dit « j’apprends ! et j’y vais comme ça ! ».
J’affectionne particulièrement le tableau de l’affiche. Ce tableau s’appelle « Bleeding » et représente le corps d’une femme avec du sang au niveau des parties intimes. C’est le premier tableau que j’ai peint au mois de février et il symbolise beaucoup de choses. Il symbolise la perte du sang, peut-être les règles, les fausses couches, l’accouchement, etc. C’est vraiment un tableau que j’aime beaucoup. Il est minimaliste, il n’y a pas beaucoup de couleurs.
Propos recueillis par la rédaction