Au Togo, les produits artisanaux sont les œuvres des forgerons, des tisserands. D’autres artisans s’adonnent à la sculpture. La poterie, quant à elle, demeure l’apanage des femmes en général. Le marché au fétiche d’Akodesséwa à Lomé est le sanctuaire de l’art statuaire. La rue des arts en plein cœur de Lomé et le village artisanal sont de véritables musées vivants où se perpétuent les techniques traditionnelles séculaires de la sculpture. Ces objets en bois sculptés naguère représentatifs des divinités et des mânes des ancêtres sont de nos jours utilisés à des fins décoratives. Les perles auraient pour lieux de provenance la Côte des Esclaves et les îles de Guinée-Bissau. L’on les nommait pierres d’akori, d’aigry, de cori ou de popo et elles étaient portées aux oreilles, autour du cou (collier), du bras, des pieds pour les femmes ou en pendentifs pour les hommes. Elles ont été signalées sur la côte dès 1500. Aujourd’hui, les perles sont revisitées sous l’angle de l’artisanat d’art. Justine Halokpenade Pawi reste et demeure la pionnière dans ce corps de métier. Allons à sa découverte.
- L’influence des grands parents
Avant de devenir une promotrice et entrepreneur culturels aujourd’hui, Justine Pawi a eu à travailler durant douze ans comme secrétaire – caissière dans une société dans la zone portuaire de Lomé grâce à sa formation initiale en dactylographie et secrétariat de direction. En démissionnant de son travail de bureau en 2006 pour se mettre à son propre compte, elle avait réalisé l’immensité de son savoir-faire artistique qu’elle a hérité de ses grands-parents. Son grand-père était sculpteur de pipes et fabriquait des instruments traditionnels de musique comme des djembé, les accoutrements et parures de danse de la tête aux pieds, les manches de houes et de daba. Il était aussi teinturier. Il utilisait les plantes tinctoriales telles que l’indigo pour obtenir les couleurs adaptées. Il avait donc une maitrise des teintures naturelles obtenues à partir des écorces des arbres, des décoctions de feuilles, des racines, de l’utilisation des terres argileuses. Le grand-père produisait également des articles artisanaux en vannerie tels les sacs en raphia, les nattes et autres. Quant à la grand-mère, elle était potière et décoratrices de murs comme des sortes de fresques. Elle maitrisait les techniques de teinturerie, de filage et tissage de coton en tant que tisserande de renom dans tout le pays kabyè.
Eduquée dans cette atmosphère dominée par l’art, elle n’a pas hésité à démontrer ses talents et sa passion pour l’artisanat lors des semaines culturelles au Collège Chaminade de Kara dans les années 80. La maison a croisé ainsi le chemin de l’école dans le sens de la valorisation de l’art et de la culture. Ainsi, elle avait exposé ses créations issues du tricotage et de la broderie. Elle avait commencé par vendre ses œuvres réalisées avec un art consommé dont entre autres, les trousseaux de bébé, les petites robes en toile et les colliers en graines de flamboyant qui n’étaient pas loin des perles.
- L’étape de la formation et de la restitution
Les perles sont de petites boules de matières dures à forme variée, percées d’un trou et destinées à être enfilées sur des ficelles de coton l’une contre l’autre pour former un bijou ou un objet de parure, de distinction et du décor. Elles se distinguent par leur forme géométrique, leur matière première et leur couleur. Les perles représentent pour la plupart, des boules de substances dures, translucides ou opaques et de couleurs diverses. On rencontre souvent des perles multiformes. Elles sont généralement enfilées pour former des parures comme les colliers ou les bracelets. Elles sont portées dans nos sociétés comme le sont les bijoux partout ailleurs.
Avant de se lancer dans son initiative privée, le travail de perles, elle s’est d’abord formée en perlage de 2006 à 2008 au Bénin et au Ghana. En 2011 elle a pris la direction de Bordeau en France où au Monastère de Belloc, alliant la pratique à la théorie, elle a appris à donner différentes formes aux perles assemblées. Il s’agissait des perles rondes importées de la Chine. A son retour au pays, elle a fait bénéficier sa formation aux Togolais grâce à la collaboration avec Madame Djondo, responsable des vendeuses de perles au grand marché de Lomé, auprès de qui elle se ravitaillait en perles, devenues sa matière première. Après sa toute première formation à Lomé dont les bénéficiaires étaient les fidèles du temple du Calvaire des Assemblées de Dieu du Togo, elle a eu à exécuter un projet d’autonomisation de la femme, financé par la Délégation à l’organisation du secteur informel (DOSI). Il s’était agi de former plus de dix mille femmes à travers leurs groupements sur toute l’étendue du territoire national. L’année suivante en 2013, l’ONG Forces en action pour le mieux-être de la mère et de l’enfant (FAMME) a financé un projet de formation de vingt-deux professionnelles de sexe dans chaque localité du Togo que sont Lomé, Kpalimé, Atakpamé, Kara et Cinkassé. A l’issue de cette formation, ces dernières ont eu à bénéficier de kits de réinsertion dans la vie sociale. Dans le domaine de l’entreprenariat, elle a eu à former en 2014 des jeunes aux métiers de l’assemblage des perles grâce à un projet financé par CARE International au Togo et au Bénin.
- L’établissement Halo Kerewa Création
Déjà en 2007, Justine Pawi a créé l’Association pour la sensibilisation et l’appui aux femmes et aux enfants (ASAFE) dont la face visible est l’Etablissement Halo Kerewa Création. Il s’agit d’un établissement de collecte, de fabrication, de vente et de promotion des objets d’art en perles. Ainsi, l’établissement Halo Kerewa Création, à la fois un atelier et une boutique, s’est spécialisé dans les techniques d’enfilage des perles pouvant aboutir aux produits suivants : pots de fleurs, éventails, sacs à mains, colliers, corbeilles, castagnettes, chaussures, costumes de danses traditionnelles, pochettes, bagues, bracelets, chapeaux, couronnes, ceintures, cravates, etc… Ces produits issus de l’artisanat d’art à base de perles a permis à Justine Pawi d’exposer et de vendre ses créations à l’intérieur comme à l’extérieur de son pays, honorant ainsi la signification de son prénom kabyè « Halokpenade » qui est l’expression même de la prospérité.
Depuis 2012, sur le plan national, elle a toujours été présente à la Foire d’exposition de Togo 2000 sur le site du Centre togolais des expositions et foires de Lomé (CETEF – Lomé) où en 2013 elle a été honorée par le quatrième Prix de la créativité. En 2012, 2013 et 2014, elle a participé à la Foire artisanale du Togo respectivement à Lomé, Dapaong et Atakpamé. Elle a participé à deux autres événements majeurs en 2014 : la Quinzaine commerciale carrefour de Kara (CCK) et le Pagne en fête et accessoires organisé par la Chambre du commerce et d’industrie du Togo au Palais de Congrès de Lomé. A cette occasion, elle a été particulièrement choisie pour habiller les mannequins en accessoires en perles à la faveur du défilé de mode. En 2017 elle a eu à exposer au Festival de films documentaires de Blitta (FESDOB) et au Festival international des arts de la perle de Dapaong (FIAP) grâce au soutien du Fonds d’aide à la Culture (FAC) tout comme sa dernière activité sur le plan national de juillet 2019 en pleine période d’Evala à Kara avec le Salon international des arts de la perle (SIAP). Encore appelé « Kidjissi Kiyaku », le marché aux perles en langue kabyè, ce grand évènement artistique et culturel qui a réuni, mis à part les nationaux, des exposants venus de la sous-région ouest africaine avait tenu toutes ses promesses.
Sur le plan international, Justine Pawi a exposé en 2013 au Marché ivoirien de l’artisanat (MIVA) et en 2016 au Pavillon de l’Excellence du même MIVA à Abidjan en Côte d’Ivoire. En 2014 et 2016, elle était à la Foire sénégalo malienne respectivement à Bamako et à Dakar. En 2017 et 2019, Justine Pawi était à Niamey au Niger pour le Salon artisanal de la femme (SAFEM). A Ouagadougou au Burkina Faso, elle était du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO) de 2014, 2016 et 2018 ; au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) en 2017. En mars 2020 elle avait représenté le Togo au Salon de l’artisanat sénégalais (SAS). Au Cameroun en Afrique centrale, elle avait été l’ambassadrice dans le domaine de l’artisanat en 2015 à la Foire émergence de l’artisanat camerounais (FEMA). Toujours en Afrique centrale, au Gabon elle a participé en 2014 au Salon international du commerce, de l’art et de l’artisanat africain (SICA) dans le cadre de l’AGOA où toute l’Afrique était représentée. En dehors de l’Afrique, la spécialiste de l’enfilage et de l’assemblage des perles a eu à participer à la première exposition économique et commerciale sino-africaine en juin 2019 à Changsha dans la province de Hunan en Chine. A cette occasion, ses produits artisanaux à base de perles ont eu accès au grand marché international en général et celui de la Chine en particulier.
L’intérêt des populations à la base pour les perles est assez mitigé. Ainsi l’Association pour la sensibilisation et l’appui aux femmes et aux enfants (ASAFE) se donne la mission de former davantage et de sensibiliser à l’importance et surtout à la plus-value entrepreneuriale et économique relative aux différents corps de métiers des perles. C’est dans cette dynamique que la galerie des perles traditionnelles, « Kidjissi Diwa » a été ouverte à Kara dans le quartier Kara-Sud en décembre 2019 dernier. Celle galerie qui est une grande première du genre au Togo est située à l’entrée principale du Lycée Kara-Sud.
Les perles constituent des éléments spécifiques du patrimoine culturel. Aujourd’hui, il est curieux de constater que depuis le XXe siècle, ces joyaux qui ont traversé l’espace et le temps, nous permettent de réaliser d’authentiques produits artisanaux et autres pour le plus grand plaisir de tous les utilisateurs. Pour cet usage profane, les perles sont d’abord une représentation esthétique qui se remarque spécifiquement chez les femmes et un symbole de séduction. La première idée qui explique le port des perles est la recherche du beau ou mieux de l’esthétique que ces joyaux confèrent aux femmes et aux hommes qui les portent. Ces objets de couleur et de formes harmonieuses, varient du goût d’un individu à un autre, complètent les accoutrements et permettent de distinguer les classes d’âges et le rang social. Dans le contexte précis de l’exploitation qu’en fait Justine Pawi, il s’agit d’en tirer le meilleur au service de l’artisanat d’art et de l’entreprenariat.
Adama Ayikoue, gestionnaire du Patrimoine culturel