Entre janvier et février 2021, l’Université de Lomé, accueillera un colloque autour du thème : « Sépultures, deuils et incarnations : la question du corps, d’Antigone à Covid-19, une approche inter/trans disciplinaire ». Mais, bien-au-delà de la rencontre, il y a toute une idée de recherche théâtrale qui donne du sens, mieux, de la chair, au colloque à venir. « Antigone ou la tragédie des corps dispersés », tel est l’intitulé du projet du metteur en scène, Gaëtan Noussouglo et du dramaturge Kossi Efoui.
Déjà, le chantier de création de la pièce est entamé. A Lomé, une résidence de création d’une dizaine de jours a réuni les comédiens issus du Togo, du Burkina-Faso, du Bénin, autour des deux metteurs en scène Gaëtan Noussouglo et Marcel Djondo et de lauteur dramatique Kossi Efoui.
Une nouvelle forme d’« Antigone », dans un contexte, non seulement de crise sanitaire mondiale, mais également et surtout de crise de théâtre. Oui, il faut bien la concevoir et réussir à lui donner corps. Tout tourne, de fait, autour de question du corps dans cette pièce, sinon dans ce projet. « Comment apaiser des corps qui n’ont jamais reçu de sépultures pour leurs repos éternel ? Comment activer et désactiver des corps ?… », se questionne Gaëtan. Alors que Kossi, de son côté, s’affole presque de « ce discours capitaliste appliqué aujourd’hui au corps. On vend le corps, on commercialise des organes humains comme on vend tout autre service ».
Face à tant d’intrigues, le théâtre, à travers ce projet, ambitionne de retourner à ses sources afin de réanimer le « corps » théâtral. Opérer son autopsie en vue de rendre populaire l’art théâtral car la notion de corps est au centre des actualités aujourd’hui, au théâtre, comme dans le train-train habituel. Le corps est essentiel dans l’identité, la construction de l’individu. D’où ce choix, avec la figure d’Antigone, cherchant à enterrer Polynice et par là célébrer la liberté individuelle, la loi de la conscience contre la loi de l’Homme ou de Dieu.
Un auteur dramatique, une raison
Sur ce projet de chantier théâtral « Antigone ou la tragédie des corps dispersés », le fait que Gaëtan Noussouglo a confié le travail de l’écriture de plateau à Kossi Efoui n’est pas fortuit. « Kossi marque une date dans l’écriture théâtrale au Togo. Avec ses pièces, il y avait une révolution dans l’écriture théâtrale et la façon dont on aperçoit l’image du théâtre africain avec sorcier obligatoire, avec tam-tam obligatoire juste pour amuser la galerie au niveau du blanc », certifie le metteur en scène Gaëtan Noussouglo.
Par ailleurs, il est curieux de savoir pourquoi Gaëtan Noussouglo a choisi de travailler sur la pièce « Antigone » de l’auteur grec Sophocle, qui date de l’antiquité grecque (441 av. J.-C). « J’ai pris Antigone car cette pièce fait date chez les Grecs mais elle peut aussi nous parler. Justement, il est question de l’espace parce qu’il faut se poser la question c’est quoi notre théâtre en Afrique, c’est quoi notre théâtre au Togo, et c’est quoi notre théâtre dans les villages ? Parce quon n’a jamais construit des lieux. Il faut qu’on réinvente les formes. Réinventer les formes c’est réinventer l’histoire. Parler de notre culture, de l’oralité, qui a pour base les chants, les fables, les contes, les mythes qu’on peut retrouver lors d’une simples veillée », clarifie Gaëtan.
La distribution
Elle a beau être en cours, elle a de la « gueule » la distribution sur ce projet « Antigone ou la tragédie des corps dispersés ». La comédienne et écrivaine burkinabé Odile Sankara, l’actrice et comédienne béninoise Florisse Adjanohoun, et le conteur et musicien togolais, Béno Kokou Allouwasio Sanvee, le comédien et koraïste togolais Roger Atikpo, le percussionniste togolais Anani Gbeteglo, et le musicien et comédien togolais Eustache Bowokabati Kamounadu beau monde ! Que de noms qui ont illuminé des grandes scènes ici et ailleurs. « Au moins une vingtaine dannées dexpérience pour chaque acteur », martèle Gaëtan. Et il importe de sy arrêter. Des figures aussi increvables qui tiennent sur scène, avec une énergie pareille, à celle de leurs premières scènes, il faut l’applaudir et saluer le casting.
Par ailleurs, les raisons de ce chantier théâtral, qui a marqué une dizaine de jours à Lomé, sont diverses. La crise qui sévit dans le monde théâtral que ce soit en Afrique ou en Occident est aussi au cur du projet « Antigone ou la tragédie des corps dispersés ». « On n’a pas créé de théâtre chez nous, et on s’efforce de jouer alors que les lieux sont vides. Mais, il faudrait quon revienne même à la source du théâtre », rougit Gaëtan Noussouglo.
Impérieux de sapproprier lhistoire d« Antigone »
Le projet « Antigone ou la tragédie des corps dispersés » du comédien et metteur en scène Gaëtan Noussouglo nest pas une réécriture dAntigone mais une appropriation, un détournement de la figure d’Antigone pour raconter la tragédie des corps dispersés. « Je crois que la question du corps comme appartenant à lordre sacré est une question contemporaine surtout à une époque où le capitalisme avancé va jusquà considérer les corps comme de la marchandise », dévoile le dramaturge et scénariste togolais Kossi Efoui. « Qu’est-ce qu’une paix fondée sur le refus de l’acte où sorigine toute l’humanité : la sépulture ? », se demande-t-il.
Justement, dans une Afrique en pleine mutation s’interroger sur le personnage d’Antigone, c’est retourner à l’esprit des lois, au besoin d’alternance politique, aux pratiques rituelles, à l’essence même du théâtre et à la question fondamentale du corps.
« Longtemps après leur exécution, il était interdit de les citer en public, de se référer à leurs enseignements, de garder par-devers soi leurs écrits ». C’est en ces termes qu’Achille Mbembe parle des figures combattantes comme « Um Nyobé », « Patrice Lumumba, « Amilcar Cabral », « Eduardo Mondlane », « Osendé Afana », « Ernest Ouandié, qui furent anonymes dans cette stratégie de l’oubli.
Dans cette Antigone, la notion du corps vue par soi-même comme une autopsie va questionner. « Peut-on punir en Afrique un homme après sa mort et condamner son corps comme c’est le cas de Polynice dans Antigone ? Si oui, qu’elles fautes aurait commises cet homme ? Le corps n’est-il pas sacré et la punition dans le Hadès ne relève-t-elle pas des dieux ? Qu’est-ce quun corps ? Qu’est-ce quun corps au théâtre, un autre corps devant l’acteur, un corps incarné ? ».
Ce sont toutes ces interrogations qui se retrouvent au centre dudit projet qui englobe des recherches, des colloques, des investigations, l’écriture de plateau, le renforcement de capacité des artistes et dramaturges et la création.
L’idée d’appropriation de la pièce « Antigone » à travers l’écriture de plateau de Kossi Efoui est tout d’abord de réanimer le théâtre en faisant l’autopsie de son corps et ainsi retrouver l’esthétique d’une forme qui parle à toutes les couches de la population. Le projet « Antigone ou la tragédie des corps dispersés » est un creuset de questionnements qui a pour objet le « corps mort ». Car, la notion de corps est au centre des actualités aujourd’hui, dans le théâtre et dans le monde. Aussi le corps est-il essentiel dans l’identité, la construction de l’individu. Il faut dire que African Culture Fund est l’un des soutiens de ce projet.
Source : Togo Matin