Selon l’histoire de l’art au Togo, on distingue plusieurs générations d’artistes plasticiens : ceux de la période d’avant Paul Ahyi (considéré comme le « Jésus-Christ » de l’art visuel togolais), Paul Ahyi lui-même et ses contemporains, puis enfin ceux qui ont émergé après lui. Parmi ces derniers, on retrouve plusieurs catégories : les diplômés des Beaux-Arts, les pensionnaires de la fameuse « École de Lomé », les artistes de la diaspora, la jeune génération ainsi que les plasticiennes, de plus en plus nombreuses et talentueuses. De Maryse Ekué à Annick Nyamlé, en passant par Amivi Homawoo ou Akoko Amedon, l’art visuel au féminin se porte aujourd’hui à merveille au Togo. C’est dans cet écosystème dynamique que s’inscrit Annick Nyamlé, figure montante dont l’imaginaire mérite une attention particulière.
Du statut d’étudiant à celui d’artiste
A l’état civil, elle s’appelle Annick Orrely Ayélé NYAMLE. Nantie d’une Licence en Organisation et gestion des ressources humaines à l’Université de Lomé, elle possède des qualités évidentes qui font d’elle une artiste plasticienne avec une fibre artistique remarquable selon ses capacités artistiques et sa rigueur. Eu égard donc à son talent malgré son jeune âge et surtout à sa motivation artistique, on reconnait en elle un regard singulier et une profondeur dans le traitement des sujets sociétaux. On remarque la puissance de ses narrations visuelles et son engagement constant vis à vis des thématiques essentielles. Sa capacité à allier l’esthétique à la dénonciation des injustices fait d’elle une artiste peintre dont le travail met en lumière l’impact et la pertinence de son œuvre dans le paysage artistique togolais. Annick Nyamlé mêle diverses techniques graphiques et confronte plusieurs registres visuels, sociaux et formels, allant de l’expressivité aux dessins. Annick Nyamlé ne s’est pas simplement « détournée » des sciences humaines pour se consacrer à l’art : elle a trouvé dans l’art une manière plus intense, plus sensible, de prolonger sa réflexion sur l’humain et la société. C’est ce passage du cadre strict de l’université à l’espace libre de l’atelier qui confère à son œuvre sa densité et sa pertinence.
Lire aussi : L’artiste Rouquaiya Yérima, entre peinture, sculpture, scénographie et costume
Le dessin et les couleurs
Tout art visuel est à fois surface et symbole. Maurice Dénis définit un tableau de peinture comme étant une « surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». N’oublions pas que le dessin est au commencement de l’art visuel. Il en constitue cette couche discrète qui se cache derrière la peinture sans jamais disparaitre, sans jamais tomber dans l’oubli. Il y a toujours un dessin préparatoire à la chose artistique parlant du travail d’Annick Nyamlé. On peut donc dire du dessin qu’il est commencement sans jamais être une fin. L’artiste plasticienne se sert de sa palette pour inventer sa vision du monde à travers une représentation où le lyrisme de l’imaginaire se dispute avec une conscience critique de la réalité. L’énergie et le lyrisme de son travail font de ses œuvres, l’illustration du quotidien propre à la nature humaine avec toute la délicatesse et la poésie qu’il faut reconnaitre à son œuvre d’art.
Univers des formes avec un art plus ambitieux qui cherchent à exprimer le monde au lieu de le représenter, ce symbolisme est rendu par Françoise Cachin en ces termes : « il faut recréer la nature après l’observation et non se borner à la représenter »
Annick Nyamlé sait employer la couleur, non pour la joie de l’instantané visuel, mais pour l’expression d’un sentiment ou d’une idée. Selon Paul Gauguin, « l’art est une abstraction, tirez-le de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qui en résultera, c’est le seul moyen de monter vers Dieu en faisant comme notre Divin Maître, créer. »
Lire aussi : Togo : Lina Mensah ou l’art de la photographie depuis le berceau
La couleur est pour elle un élément religieux, non une référence à la réalité : dépouillée, libérée de toute intention descriptive, elle deviendra très naturellement un équivalent affectif, l’expression d’un sentiment, puis un cri, une forme, une tache, et enfin un pur élément abstrait.
La texture et le langage plastique
Toute œuvre d’art est une transposition, une caricature, l’équivalent passionné d’une sensation reçue. L’artiste c’est celui qui s’efforce de créer l’unité, voire l’harmonie dans la variété par les rythmes des teintes et des tons. Annick Nyamlé est caractérisée par une peinture opalescente et délicate, un joyeux et subtil chromatisme. A partir de ses compositions aussi élaborées et chargées d’intention, le défi pour l’artiste reste et demeure un accord à réaliser entre le poétique et le décoratif. La toile devient alors un objet métaphysique, chaque couleur, chaque ligne prend une valeur propre qui permet toutes les audaces et toutes les libertés.
Ses peintures sont une forme de cartographie de nos modes et expressions, de nos histoires et autres faits sociaux qui marquent le paysage dans lequel nous évoluons. En somme, elle privilégie l’humain dans son œuvre, et le met au centre de toute attention. Ses œuvres sont dominées par ce qu’on pourrait appeler un « réalisme poétique ». Son approche narrative est une forme d’affirmation de ses positions artistiques et esthétiques sur les faits majeurs de nos sociétés. Les rapports de force que l’on observe à l’échelle mondiale n’échappent pas non plus à son regard. La jeune artiste invente une vision du monde où l’imaginaire lyrique dialogue avec une conscience critique de la réalité.
Son jeune parcours artistique
Elle a bénéficié de plusieurs ateliers, résidences et expositions artistiques. L’artiste a réalisé un live à l’auditorium de l’Université de Lomé lors de la journée scientifique 2022. L’artiste a participé en 2023 à une exposition à l’occasion de la célébration de la journée de l’Enfant Africain organisée par Compassion Internationale Togo, et à la conférence et foire sur la gestion de l’environnement et la protection de la création toujours organisée par la même organisation. En 2023 il y a eu le Live Painting organisé par l’association « La Scène » ; les ateliers théorique et pratique de renforcement de capacité des artistes plasticiens togolais organisé par le Ministère de la culture et du tourisme à travers la direction du patrimoine culturel et la résidence d’art écologique organisé par l’association « Ombre du baobab ». Annick Nyamlé a pris part en tant que résident artistique à la Villa Karo de Grand Popo au Bénin lors de la Résidence internationale d’artistes Gamesu, RIAG à Agoué en 2023. En janvier 2024, elle a participé à une exposition collective à l’hôtel ONOMO. En septembre de la même année elle a remporté le trophée du meilleur artiste de la résidence après une première exposition à Comé GIMono au Bénin et une deuxième à la Villa Karo à Grand Popo dans le cadre de la RIAG Agoué édition 2024. Au sein de cet environnement culturel riche et stimulant, Annick Nyamlé a puisé inspiration et créativité pour donner vie à de nouvelles œuvres. Cette expérience a été marquée par la collaboration avec des artistes internationaux et lui a ouvert des horizons nouveaux et passionnants dans le développement de sa pratique artistique.
La même année, elle a pris part à l’exposition collective Todjihoun (la pirogue) une rencontre qui a réuni des artistes autour du dialogue sur le concept « l’union fait la force ».
Elle a participé à de nombreuses expositions et événements artistiques dans les plus grands hôtels à Lomé entre mars et avril 2024. Elle a eu l’honneur de participer à deux événements majeurs : une exposition à l’hôtel Sarakawa et une autre à l’hôtel du 2 Février à l’occasion de la semaine de l’indépendance du Togo, édition 2025.
Dans le courant de ce mois d’août 2025, elle présente actuellement ses œuvres dans le cadre de l’exposition collective Asiwo Kpe (les mains jointes) en cours au musée Agnassan Paul Ahyi à Lomé.
Lire aussi : Kossi Assou enchante le musée KIJAIN, Art Contemporain : une célébration vivante de l’art contemporain togolais
Perspectives
Au regard de cette dynamique déjà amorcée, ses prochaines expositions individuelles s’annoncent comme une reconnaissance légitime de son talent et de sa démarche. Elle poursuit une œuvre qui témoigne, interpelle et émeut. Dans un contexte où les femmes artistes doivent souvent redoubler d’efforts pour légitimer leur place, Annick Nyamlé a su transformer cette contrainte en force.
À ce titre, elle incarne bien ce que l’écrivain Albert Tévoédjré appelait des « certitudes d’espérance » : une promesse artistique forte pour l’avenir, portée par une voix jeune et singulière de la scène contemporaine togolaise.
Adama AYIKOUE, Critique d’art