Le football, sport roi, est aujourd’hui une industrie florissante, portée en grande partie par les droits de diffusion télévisuelle. Ces contrats, qui octroient aux diffuseurs le privilège de montrer les matchs en direct, représentent la source de revenus la plus substantielle pour les petites fédérations et les grands clubs. Cependant, derrière les sommes astronomiques se cache une pratique de plus en plus asymétrique qui mérite d’être dénoncée. Cette asymétrie crée une distorsion croissante, pénalisant à la fois les supporters et la compétitivité sportive.
Cette pratique qui sacrifie l’éthique est malheureusement en pleine vogue, menaçant l’avenir du sport roi. Et poussant à juste titre notre confrère Noël Tadegnon à monter au créneau à travers cette tribune à lire à tout prix.
L’information monnayée, l’éthique sacrifiée par les chaînes de télévision africaine : de petites fédérations sportives arnaquées …
Il m’a été difficile de retenir un sourire en parcourant récemment un courrier émanant de diffuseurs télévisuels africains, exprimant leurs doléances quant aux droits de retransmission de la Coupe d’Afrique des Nations. L’ironie de la situation tient au fait que certaines de ces chaînes n’hésitent pas à investir des sommes considérables, parfois de plusieurs dizaines ou centaines de millions de francs CFA, pour s’assurer la diffusion de la CAN ou de la Coupe du monde. Dans le même temps, elles imposent sans scrupule à de petites fédérations sportives africaines des frais allant de cent cinquante mille à quatre cent mille francs CFA, comme condition préalable à la couverture d’événements mineurs, y compris dédiés aux catégories de jeunes.
Une telle asymétrie interroge. Comment justifier qu’un acteur capable de mobiliser de lourds budgets pour le football international se permette, parallèlement, de faire peser une charge financière disproportionnée sur des fédérations souvent dépourvues de moyens et engagées dans des compétitions de base ? Cette forme de transaction s’apparente, pour nombre d’observateurs, à une pratique déloyale et fragilise encore davantage des structures sportives qui peinent déjà à survivre.
En tant que journaliste exerçant depuis trois décennies, et en tant qu’enseignant formateur en journalisme, je demeure préoccupé par cette dérive. Certaines chaînes omettent même de signaler que le contenu qu’elles diffusent est en réalité un publi-reportage financé. Je peine à comprendre l’école éditoriale qui érige désormais ce marchandage de l’information en norme. Il y a quelques semaines déjà, j’exprimais mon étonnement face à la multiplication de comportements contraires à l’éthique au sein de notre profession. Je souhaite, ici, réitérer cette réflexion.
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Avec le recul que m’offrent ma trentaine d’années de pratique et de transmission du journalisme, je dirai que notre métier repose sur deux gestes essentiels : choisir et raconter.
Choisir, d’abord, c’est-à-dire trier dans le flux infini des faits ceux qui, par leur portée ou leur sens, méritent d’être élevés au rang d’événements.
Raconter, ensuite, donner à ces faits une forme narrative, une cohérence, une voix capable de toucher, d’éclairer ou de déranger.
Même la meilleure plume ne s’exprime jamais en dehors des contraintes du réel, les délais, les sources, les formats, les codes narratifs… Mais c’est précisément dans cette tension entre liberté et exigence que se révèle la grandeur du journalisme.
C’est aussi là que s’apprend l’humilité de ce métier, celle de faire parler les faits, sans jamais cesser de les interroger.
Malheureusement, je mesure combien notre métier, fondé sur la rigueur et la responsabilité, se trouve aujourd’hui fragilisé dans une partie de l’Afrique francophone.
Je ne peux que déplorer une dérive devenue presque banale, celle qui consiste, pour nombre de médias de service public et désormais pour bien des médias privés, à exiger une contrepartie financière avant toute couverture journalistique.
Désormais, pour espérer qu’une équipe se déplace, il faut souvent « passer » par le service commercial, négocier un tarif, payer la diffusion du reportage… Ce qui est grave, c’est que ces sujets achetés ne sont même pas signalés comme publireportages. Ils se glissent, sans scrupule, dans le journal de 20 heures, parfois au milieu de quinze autres sujets du même genre, sans la moindre mention au téléspectateur.
Ainsi, l’information devient marchandise, le reportage devient transaction, et le public, celui-là même que nous avons juré de servir, devient simple client. Cette pratique n’a jamais été enseigné dans une école. Je me demande comment avons fait pour plonger ? Surtout les médias financés par les deniers publics ?
Ce glissement insidieux mine la crédibilité du journalisme et trahit l’éthique qui devrait guider nos rédactions.
Plus inquiétant encore, les organes de régulation observent sans réagir. Par leur silence, ils cautionnent une pratique qui tue à petit feu le journalisme tel que nous l’avons appris et défendu, un journalisme d’intérêt public, fondé sur la vérité, l’indépendance et la confiance. Une question : pourquoi les médias d’État n’exigent pas de l’argent quand ils doivent couvrir les événements du président de leur pays ?
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Il est temps de remettre les fondamentaux au centre. L’information n’est pas un produit publicitaire. Elle est un bien commun, et c’est à ce titre qu’elle mérite d’être protégée.
Et vous, journalistes, formateurs, responsables de rédaction ou simples citoyens, que pensez-vous de cette marchandisation de l’information ? Peut-on encore espérer redonner à notre métier la dignité qu’il mérite ?
Noël TADEGNON, journaliste, enseignant -formateur en journalisme
Président de la fédération togolaise de volleyball
