La corruption est souvent perçue comme étant aussi vielle que l’humanité ; et plusieurs personnes pensent que l’on ne pourra jamais complètement y mettre fin, le phénomène est tellement ancré dans les habitudes ; au point où l’on a normalisé un certain nombre de pratiques. Toutefois, les graves impacts que la corruption a ou peut avoir sur les pays en développement comme le Togo, justifient amplement la mobilisation à laquelle l’on assiste.
La corruption est la perversion ou une infraction pénale commise par une personne ou une organisation à laquelle l’on confie une position d’autorité, afin d’acquérir des avantages illicites ou d’abuser de son pouvoir à des fins personnelles. La corruption se manifeste notamment, lorsque par une action ou par une omission, un titulaire de charge publique, par exemple un élu ou un fonctionnaire, manque à ses devoirs et responsabilités en échange d’un avantage, d’une récompense ou de tout autre bénéfice offert par un citoyen.
L’on distingue la fraude qui est une falsification de données ou de documents officiels pour l’enrichissement personnel. Le dessous-de-table fait référence à des versements en sommes d’argent au profit d’une personne titulaire d’une autorité afin de faire avancer plus vite une opération ou de la rendre favorable. L’on peut aussi parler de pots-de-vin dans ce cas. Le favoritisme est ce type de corruption qui consiste à favoriser un proche. Le détournement de fonds est pour sa part ce mode de corruption qui qualifie le fait de spolier des ressources publiques.
Lire aussi : Anticorruption : une ONG exhorte les Nigérians à se désolidariser des corrompus
L’on parle d’extorsion de fonds lorsque de l’argent est obtenu par la force ou sous les menaces. Un autre acte de corruption très grave est le blanchiment d’argent. Il représente des mouvements de fonds obtenus illicitement, ou des transferts de fonds illégaux visant à détourner la loi fiscale.
Les commissions occultes, encore appelées couramment pots-de-vin, sont une situation où une personne privée promet le versement d’une commission à l’agent de l’État dès acceptation d’un marché public en sa faveur. Ousmane Diagana, vice-président du groupe de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, et Mouhamadou Diagne, vice-président du groupe de la Banque mondiale pour l’Intégrité évoquaient l’ampleur de la corruption dans la Tribune Afrique, le 13 juin 2023.
« La triste vérité est que la corruption persiste dans tous les pays, se manifestant sous des facettes multiples, depuis les dessous-de-table jusqu’au détournement à grande échelle des ressources publiques. Avec les progrès technologiques, elle devient de plus en plus un défi transnational sans respect des frontières, car l’argent circule désormais plus facilement à l’intérieur et à l’extérieur des pays, dissimulant des gains illicites », écrivaient-ils.
La corruption au Togo et les mesures prises pour la combattre
Au Togo, l’on assiste à des phénomènes comme les dessous-de-table (taméa en langue locale Ewé) ; cela était même érigé comme une règle dans certains services de l’administration publique il y a quelques années. Au point où des usagers des services publics se sentent souvent obligés de débourser de l’argent pour faire avancer leurs dossiers même lorsque l’on ne leur demande rien. Le phénomène s’est aussi enraciné parce que des usagers de l’administration publique qui souhaitent contourner certaines procédures et certains délais dans le traitement de leurs dossiers, n’hésitent pas à couvrir les agents de cadeaux.
Lors de la passation des marchés publics, la tentation de frauder est très forte. Il peut arriver que des personnes en charge des marchés publics cherchent à faire passer un dossier en échanges de commissions. Le propriétaire du dossier peut aussi prendre l’initiative de proposer ces commissions. Très souvent, c’est lorsque le participant à l’appel d’offres manque de compétences nécessaires pour concourir de façon transparente que les choses se passent ainsi.
Dans ces conditions, les travaux publics sont mal exécutés et les bénéficiaires en souffrent. Qu’en est-il des rackets sur les routes ? Dans une note de service du mercredi 25 septembre 2024, le général de brigade Dimini Allahare, chef d’État-major général des Forces armées togolaises (FAT) écrivait : « Il a été donné de constater que malgré les efforts de sensibilisations renouvelées par la hiérarchie, les personnels des forces de défense et de sécurité continuent par extorquer des fonds aux paisibles populations sous forme de racket systématique, souvent à des checkpoints, postes de sécurité et postes frontaliers ».
Cette situation met en danger la sécurité des populations. Les Forces de défense et de sécurité (FDS) qui devraient lutter contre la surcharge, les violations multiples du Code de la route, tolèrent ces comportements parce qu’elles prennent de l’argent chez les conducteurs de véhicules à passagers et d’autres usagers de la route. Par exemple, sur la route Lomé-Kpalimé où le phénomène est récurent, des véhicules de 5 places prennent parfois jusqu’à 8 personnes. La conséquence est que l’on assiste à des catastrophes sur les routes.
Que dire à présent des flux financiers illicites ? Sur la base du rapport de l’ONG Tax Justice Network (2021), les pertes annuelles totales des recettes fiscales au Togo sont estimées à 23 millions USD (0,4% du PIB), dont 20,65 millions USD sont liées à la fraude sur l’impôt sur les sociétés.
Le montant total des bénéfices transférés à l’étranger s’élève à 118 millions USD (71 508 000 000,00 Franc CFA). Ces données sont issues du rapport ‟Evaluation et stratégie du financement du développement au Togoˮ, publié en octobre 2022 par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sous la coordination du ministère de l’Economie et des Finances et du ministère de la Planification du Développement et de la Coopération.
La corruption « nuit le plus aux pauvres et aux personnes vulnérables, augmentant les coûts et réduisant l’accès aux services de base, et même de la justice. Elle exacerbe les inégalités et réduit les investissements privés au détriment des marchés, des opportunités d’emploi et des économies. La corruption compromet la réponse aux situations d’urgence, entraînant des souffrances inutiles, et la mort dans le pire des cas. Si elle n’est pas combattue, la corruption peut saper la confiance que les citoyens accordent à leurs dirigeants et à leurs institutions, créant des tensions sociales et augmentant dans certains contextes, le risque de fragilité, de conflit et de violence », précisent Ousmane Diagana et Mouhamadou Diagne.
Les autorités togolaises ont compris qu’il faut agir vite pour réduire, voire mettre fin à l’hémorragie. Ainsi, le Togo a adhéré à l’Initiative Afrique du Forum mondial. Cette collaboration lui permet de renforcer sa transparence en termes de fiscalité, et d’identification des flux financiers. Le Togo bénéficie de l’appui du programme Inspecteurs sans frontières, une initiative du Pnud et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pour l’amélioration de la mobilisation des recettes fiscales et la lutte contre l’évasion fiscale. Le Togo est également actif au sein du Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (Giaba).
Lire aussi : Gouvernance : la corruption est de moins en moins acceptée au Nigeria (ONUDC)
Selon le rapport cité plus haut, le pays a mis en place un dispositif robuste de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Au-delà de l’incrimination de ces actes, une cellule de renseignement financier a été créée, les institutions déjà existantes ont reçu de nouvelles missions et une panoplie de mesures préventives impliquant les institutions financières ainsi que les entreprises et professions non financières désignées a été adoptée.
Depuis quelques années, il y a eu la création de la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (Haplucia). Dans le cadre de la gestion des marchés publics, l’Autorité de régulation de la commande publique (Arcop) a également été créée. Au niveau de l’administration publique, des mesures sont prises pour mettre fin au phénomène ‟taméaˮ. Les autorités militaires ont aussi décidé d’agir de leur côté pour mettre fin à la dangereuse entente qui s’est instaurée entre les FDS et les mauvais usagers de la route.
Avec la Constitution du 6 mai 2024, outre les juridictions ordinaires, il y aura la Cour des comptes, mais aussi, la Haute autorité pour la transparence, l’intégrité de la vie publique et la lutte contre la corruption ; la Cour de justice de la République chargée de connaître les crimes et délits commis par les hautes personnalités dans l’exercice de leurs fonctions.
À cet effet, l’article 56, alinéa 2 de la Constitution de la cinquième République dispose : « Les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes qualifiés de crimes et délits, accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République… ». L’érection d’une telle juridiction sera une première au Togo. Tout cet arsenal suffira-t-il pour mettre le pays à l’abri de de la corruption ?
Edem Dadzie
Lire aussi : Corruption: le Togo occupe la 29ème place en Afrique