Par Léleng Kebalo
Face à la récente hausse des prix du carburant à la pompe au Togo, l’économiste Léleng Kebalo apporte des réponses sur les questions des subventions des prix du carburant, des ajustements effectués par le gouvernement et des leçons à retenir sur les rapides ajustements effectués depuis Avril 2022. L’économiste-chercheur finit son argumentaire en exposant les effets potentiels d’une hausse du prix de carburant dans un avenir très proche.
Depuis le 19 juillet 2022, les prix du carburant à la pompe ont connu une hausse, un nouvel ajustement décidé par les décideurs publics togolais. En l’espace de cinq (05) mois, le pouvoir public togolais a procédé à trois (03) ajustements. De début de second trimestre 2022 au mois de juillet, les prix du litre du super sans plomb et du gasoil ont connu respectivement des hausses de 17,6% et 40,5%. Le prix du litre du super sans plomb est passé de 595 Fcfa en Avril à 700 Fcfa en juillet, tandis que celui du gasoil est passé de 605 Fcfa à 850 Fcfa sur la même période. Sur le plan régional (UEMOA), le Togo est le troisième pays présentant le prix du litre du super le moins cher depuis juillet 2022.
A chaque ajustement, le gouvernement justifie sa politique et soutient qu’il subventionne une part des prix du carburant lorsque le cours mondial du pétrole brut (Brent) est dans une phase haussière. Lesdites subventions permettent de contenir les effets des fluctuations court-termistes des prix du Brent sur les prix de biens et des services sur le marché domestique et donc d’éviter une réduction considérablement du pouvoir d’achat des ménages dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) n’est pas encore revalorisé malgré la demande de certains syndicats.
Pour le citoyen togolais des classes moyenne et ouvrière, ce troisième ajustement en seulement cinq (05) mois semblerait tourner au ridicule. En effet, les prix des biens et des services sur le marché poursuivent une tendance haussière. Ainsi, par rapport à 2021, l’inflation actuelle sur le marché togolais est estimée à 6,1% ; une hausse des prix tirée en partie par celle des coûts de transport et à la spéculation.
Si une partie de la population doute de l’existence des subventions pour contenir les effets néfastes de la hausse des prix du carburant, une autre partie jugent ses subventions insuffisantes. Cependant, comme la profession d’économiste l’exige, il est de mon devoir de rappeler certains fondamentaux sur l’analyse des prix et les politiques pour lutter contre l’inflation. Dans une économie, il est un peu plus aisé de contenir une inflation monétaire (en haussant le taux d’intérêt) et une inflation tirée par une demande intérieure (en fixant les plafonds aux prix ou en haussant l’offre intérieure). Cependant, il est difficile mais pas impossible de contenir une inflation dont la source est externe à l’économie nationale. Le cas togolais et des pays de la sous-région, revêt un caractère commun. L’inflation vécue par les agents économiques sur les marchés domestiques est due, en majorité, à la hausse des cours de pétrole sur les marchés mondiaux, aux restrictions sur les exportations de produits et intrants agricoles liées au conflit entre l’Ukraine et la Russie et à une faible compétition saine sur les produits agricoles. Pour contenir cette hausse des prix, il faudrait donc aller au-delà des mesures conventionnelles.
Aujourd’hui, face à la hausse des prix du carburant et de la grogne sociale, trois (03) questions importantes sont au centre du débat. Premièrement, le gouvernement subventionne-t-il vraiment les prix du carburant ? Deuxièmement, le gouvernement peut-il mieux procéder pour contenir les prix du carburant à la pompe ? Troisièmement, que comprendre des ajustements rapides du prix du carburant effectués par le gouvernement depuis la fin du premier trimestre 2022 ?
Le gouvernement subventionne-t-il les prix du carburant ?
N’étant pas dans le secret des dieux, ma réponse se base sur les données existantes. Le graphique ci-après montre que les prix du carburant (super sans plomb et gasoil) fluctuent faiblement ou rarement en général, contrairement aux prix du Brent (pétrole) sur les marchés mondiaux (Europe et West Texas Intermediate). Malgré la hausse des cours mondiaux du pétrole, le gouvernement a maintenu fixes sur plusieurs mois, les prix du carburant. Depuis mars 2020, le premier ajustement à la hausse n’a eu lieu qu’une année après. Ce qui veut dire que les ajustements à la hausse comme à la baisse ne sont pas automatiques au Togo. Par conséquent, il n’a aucune raison de penser que le gouvernement ne subventionne pas les prix du carburant.
Cependant, les potentielles subventions effectuées ont réduit les marges pétrolières (différence entre le prix des produits pétroliers et le prix du Brent sur les marchés mondiaux) à partir du mois d’avril 2020. Lesdites marges sont en majorité (1) la marge ou du coût de raffinage, (2) le coût de la logistique des produits raffinés, (3) les taxes, et (4) la marge bénéficiaire ou le profit des détaillants (stations-services). Si le gouvernement n’a pas assez d’influence sur les coûts de raffinage et de la logistique des produits raffinés, il peut influencer les deux autres marges. Ainsi, en réduisant ou exonérant les taxes, le gouvernement enregistre des pertes fiscales qui sont déjà des subventions.
Note : MCICL pour Ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Consommation Locale, Togo.
Faut-il s’attendre à de plus grandes subventions du gouvernement pour contenir les hausses des prix du carburant ? Les ajustements des prix des produits pétroliers sont-ils proportionnels ?
En subventionnant les prix du carburant, le gouvernement togolais fait ce qui est logique. Tout Etat, a le devoir de contenir les effets néfastes de la hausse des prix afin de protéger sa population. Cependant, à la question de savoir si le gouvernement peut faire plus, il serait difficile de donner une réponse précise. Tout dépendrait du niveau de recettes disponibles de l’Etat.
Toutefois, il est important de montrer que les ajustements du prix du carburant ont été moins proportionnels que les fluctuations des cours mondiaux de pétrole brut. En effet de juillet 2021 à juillet 2022, le prix de Brent a augmenté de 79% au niveau du marché européen et de 68,6% au niveau du West Texas Intermediate (WTI). Par contre, sur la même période, les prix du litre du super sans plomb et du gasoil au Togo ont augmenté respectivement de 38,6% et 63,5%. L’ajustement a été moins fort au niveau du prix du super sans plomb, ce qui reflète une bonne stratégie du gouvernement, car le parc est dominé par des engins (deux et trois roues) et des voitures à moteur essence.
Que comprendre des ajustements rapides des prix du carburant effectués par le gouvernement ?
Les ajustements rapides des prix du carburant observés les quatre derniers mois refléterait un problème de disponibilité de ressources pour financer continuellement les subventions. Les subventions sont des dépenses pour l’Etat et pour financer lesdites dépenses, il faut des ressources.
Le Togo est un pays qui dépense un peu au-delà de ses recettes et par conséquent présente des déficits publics continus. Le taux de pression fiscale étant faible, le Togo est devenu très être actif dans la mobilisation des ressources sur le marché régional. Pour preuve, depuis janvier 2022, le Togo a fait recours, 12 à 13 fois, au marché financier régional (UMOA-Titres), pour lever des fonds afin de financer ses dépenses. En persévérant dans ces opérations, la dette croitrait et le bien-être de la population à court et moyen termes serait hypothéqué pour rembourser le service de cette dette. Toutefois, des mesures budgétaires efficientes existeraient pour limiter l’endettement.
Aujourd’hui, il est difficile de penser que le Gouvernement togolais cesserait d’ajuster – même si cela ne serait pas immédiat – les prix du carburant en réponse aux hausses ou baisses des cours des marchés mondiaux de pétrole brut. Toutefois, je pense que le développement de mécanismes innovants de résilience tels que l’instauration des réserves stratégiques et la proposition des énergies alternatives, serait impératif pour contenir les effets négatifs des hausses du cours mondial du pétrole sur les agents économiques togolais. L’une des politiques pouvant permettre d’atteindre cet objectif est l’intégration de l’incertitude dans les décisions et projets économiques des décideurs publics/politiques et du reste de la société togolaise. En procédant ainsi, les unités institutionnelles togolaises deviendront, individuellement et collectivement, plus résilientes.
Il y a certes plusieurs raisons qui peuvent amener le citoyen togolais à blâmer la gouvernance étatique ou publique. Cependant, sur la problématique de la hausse des prix du carburant et vue les réalités économiques du pays en matière de finances publiques, il faudrait chercher à soutenir le gouvernement par des pensées positives. Avec la forte reprise de la production mondiale convenue par les membres de l’OPEP le 2 juin 2022 – soit une hausse en juillet de 648 000 barils par jour contre 432 000 barils auparavant – les cours mondiaux de pétrole baisseront et se répercuteront sur les prix du carburant dans les stations d’essences de notre pays.
Ensemble, libérons une pensée positive à l’endroit des décideurs afin que ces derniers mobilisent les énergies nécessaires pour servir, avec un esprit bien disposé et une forte volonté, le peuple togolais.
Quels pourraient être les effets potentiels d’une hausse des prix de carburant dans un avenir très proche ?
Depuis plusieurs jours, certaines informations circulent sur une potentielle nouvelle hausse des prix du super sans plomb à 825 Fcfa, voire 1000 Fcfa au Togo. La confirmation d’un tel ajustement pourrait avoir d’énormes conséquences économiques, sociales et voir sécuritaires.
Tout d’abord, sur le volet économique, un nouvel ajustement à la hausse contribuerait à hausser à nouveau les prix des biens et des services sur les marchés et détériorerait considérablement le pouvoir d’achat des togolais résidents. Avec une hausse des prix sur les marchés, la demande de biens et des services baisserait, ce qui pourrait donc hausser le niveau de défaillance des très petites entreprises (TPE) au Togo. Cette dernière conséquence entrainerait une autre, celle de la baisse de la création des emplois décents.
Ensuite, sur le plan social, un ajustement probable des prix du carburant pourrait susciter une grogne sociale. Une lecture des situations du Sri Lanka et de la Sierra Léone montre clairement que la résignation d’une population face à certaines hausses de prix sur les marchés n’est pas synonyme de résilience. La limite excédée, la population est souvent amenée à revendiquer et demander aux décideurs publics, des actions plus concrètes.
Enfin, sur le plan sécuritaire, les conséquences peuvent être retardées mais très néfastes. Le Togo vient de faire face à ses premières attaques terroristes. Or, avec l’expérience des pays sahéliens, il a été démontré que la ruée en masse des personnes vers les activités terroristes est en partie liée à la frustration et la forte résignation sur la mauvaise gouvernance, la misère et les inégalités. Plusieurs autres raisons aussi expliquent cette ruée.
Le Togo peut éviter un nouvel ajustement à la hausse des prix du carburant en définissant des mécanismes efficients. Dans la peau de l’économiste, je suggérerais deux solutions. Premièrement, il faudrait rationner certaines dépenses publiques à court terme Deuxièmement, il serait judicieux pour l’Etat de réduire, du moins à court terme, son train de vie (certaines dépenses courantes) et de chercher à récupérer certains secteurs stratégiques et générateurs de fortes valeurs ajoutées économiques. La communication et la transparence sur les mécanismes d’ajustement des prix de carburant et des produits pétroliers en général, permettrait d’apaiser la tension sociale montante et d’amener les togolais à soutenir les décideurs publics par des pensées positives. Les décideurs doivent mieux communiquer aux Togolais.
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A propos de l’auteur
Léleng Kebalo est un consultant, économiste et chercheur spécialiste des questions de finances publiques, d’économie internationale, d’intégration régionale et de transformation durable. Il travaille sur les stratégies d’investissement et de croissance, le redressement et le développement économique des pays africains.
Tel : (+228) 90 69 65 10 ; email : kebalo.leleng@gmail.com