Le titre du livre en témoigne, la description est directe, Toba Tanama était au balcon des dieux. Et c’est de là qu’il regarda et observa presque la moitié d’une décennie, s’entrechoquer, s’interrompre, hoqueter les labyrinthes brûlants, les personnages enthousiastes, les laides ou belles pulsations, les symboles renversés de la scène politique togolaise. Somme toute, une bonne partie du cours de l’histoire et la conscience de son pays. Bientôt deux années après avoir quitté le balcon et dans un idéal d’honnêteté, il emprunte la pirogue du temps pour mieux franchir la ligne de l’horizon dans un empilement de 264 pages. Tenez ! En 2016 à la suite de son élection, le Président de la République Faure Essozimna Gnassingbé décide de reformer et de donner de l’allant à sa communication. Bon communicant, proche de la jeune génération de Lomé, Toba Tanama est son choix. Ce dernier est informé par la Conseillère Spéciale du Président de la République dont il était proche. Mais il hésite. Le Chef de l’Etat le fit appeler un de ces tièdes matins de mois de septembre. « Tu veux échapper à ton destin ? » lui demande-t-il lorsqu’il entre dans son bureau. « Sur ce coup, je n’ai su quoi répondre.
Il prenait déjà une marge. Tout a commencé comme cela. L’audience n’a duré qu’une dizaine de minutes », informe l’auteur. Il est jeune. Il a des rêves de reconnaissance plein la tête et l’espoir d’apporter, mais le récit qui s’ouvre dès les premières pages est celui d’un homme qui œuvra modestement dès 2014 pour la structuration et le déploiement de la stratégie de communication du candidat Faure Essozimna Gnassingbé à l’élection présidentielle de 2015.
Dans l’absolu, il connait le Président de la République et avait une connaissance réelle des enjeux auxquels seront confrontés son image dans un contexte politique volatile et un effort manifeste de développement : “placer sur le chemin du citoyen tout ce qui consciemment ou fortuitement devait le porter à concéder au Président de la République une certaine crédibilité verdoyante (…)”. Sans tarder, il se mit au travail avec son équipe : refonte du plan de com’ avec l’ajout d’un volet digital très offensif, un usage plus stratégique de l’image du Chef de l’Etat et de son action politique, un nouveau rapport inclusif avec une presse pourtant bipolarisée, un plan d’actions rapprochant le Chef de l’Etat d’une opinion politique virulente mais significative… La tâche est difficile et l’exercice ardu. Sa modestie et ses compétences seules ne suffiront pas dans un environnement politique très violent où il faut instruire, décider et agir à ses risques et périls sans être sûr que cela serve le Chef. “Il ne me revenait pas de porter en premier les paroles du gouvernement, mais de mettre en évidence autrement leurs diverses contributions à la visibilité de l’action présidentielle. J’étais donc au cœur d’une sorte d’économie de la communication présidentielle où les fluctuations tenaient des stratégies adoptées. Nos initiatives étaient très peu soumises et validées, et étaient souvent dimensionnées sur les agendas du président et les enjeux de politique intérieure” informe l’auteur.
Entre les lignes, Toba Tanama raconte son périple passionnant mais risqué, ses difficultés inhérentes à une position très convoitée, ses choix stratégiques mais confrontées à des susceptibilités politiques surtout dans un contexte marqué par des crises politiques comme celle d’Août 2017 à décembre 2018 où il n’était pas question de communication telle qu’enseignée dans les grandes écoles. Ses grands rendez-vous internationaux abrités par Lomé redevenu “fréquentable” après avoir connu “l’embargo international”. Parfois, il lui fallut convoquer la psychologie, la sociologie, le droit, la philosophie et même l’histoire. Lui, philosophe de formation. Et c’est en cela que “Au balcon des dieux”, n’est pas qu’un essai qui raconte. Mais un livre qui vous livre le Togo sous plusieurs angles dans une langue épurée. Chaque phrase, belle et maligne porte déjà la scansion de la langue et pose avec ironie parfois et raisonnement le décor d’une œuvre qui interpelle. On y reconnait certains visages d’hommes et de femmes très connus dans l’espace politique togolais et dont Toba Tanama nous livre tout un autre portrait. C’est un récit du réel, qui se déguste sans modération, impossible de le lâcher une fois entamé.
“(…) c’est la politique qui prêche en criant qu’elle sait développer, sinon qu’elle n’est rien de plus que le solennel creuset où s’ennoblit davantage le nanti par dépossession du pauvre. La politique ne fait pas de vœux pieux, elle ne peut donc être vertueuse sur la durée. Faure Gnassingbé devait être présenté sous un angle plutôt avantageux. Un développementaliste, un humaniste, un bâtisseur”. N’est-elle pas belle cette écriture qui se conforme avant tout à un ordre habituel de lecture, s’indiscipline ensuite, joue aux dominos. L’esprit sursaute de temps en temps à des agencements surprenants qui font la singularité et la qualité pédagogique du style de Toba Tanama.
“Nous pouvions être politiques sans être polémistes. Si nous avons une obligation d’allégeance politique par le fait de notre conviction et souscription à la dynamique en cours, notre plus grande obligation dans laquelle s’affirme d’ailleurs notre inclination politique restait le souci d’efficacité”, assène-t-il.