J’ai lu le dernier roman du congolais Blaise Ndala avec le sentiment qu’il a voulu prendre en charge par la fiction tous les fragments douloureux de l’histoire de la colonie belge du Congo, en les reliant à l’actualité contemporaine néanmoins. L’entreprise, très sensible, est convaincante. L’Exposition coloniale de 1958 à Bruxelles sert de toile de fond à un récit dont l’une des protagonistes les plus remarquables est la princesse Tshala Nyota, fille rebelle de l’intraitable roi des Bakuba, laquelle finira exposée dans un zoo humain à Bruxelles, et mourra, enceinte des œuvres d’un marchand d’art rancunier et pervers. A travers le temps (1958-2004), le récit est pris en charge par plusieurs personnages à la disparition de Nyota, et il faut être patient dans la lecture pour ne pas perdre pied, mais on y arrive. Le corps de Tshala Nyota et ceux de tant d’autres « animaux » du zoo, restes humains trimbalés d’un lieu à l’autre, métaphorisent le débat de ce que la Belgique doit restituer au Congo : la vérité d’abord. Mais la quintessence du débat est tout autre, comme la résume Jeff l’Africain, truculent activiste belge : « Si à quelques détails près, les Belges ont réclamé et obtenu des Allemands ce qui leur était dû à la fin de la guerre, tel n’est pas le cas des Congolais. Entre une économie en plein marasme et une guerre qui menace la survie même de ce qui leur reste d’État, nos amis africains ont d’autres priorités… »
Il y a des pages magnifiques dans ce gros roman de plus de 300 pages, des ambiances inoubliables, à l’instar de toutes les mises en scène de l’icône de la rumba congolaise, Wendo Kolosoy, amoureux fou de Nyota, lequel est tombé sous le charme de la princesse espiègle lors du concert qu’il a (aurait) donné devant Lumumba et Mobutu, un soir avant l’indépendance, quand la future élite congolaise fraternisait encore. Wendo a traversé les siècles, et Blaise Ndala l’utilise comme un marqueur temporel. Cette capacité à s’amuser malgré le sérieux du sujet sauve son art de l’ennui. Le romancier Blaise Ndala est une valeur sûre de la génération d’auteurs africains qui s’imposera dans les années à venir.
Kangni Alem
Blaise Ndala, Dans le ventre du Congo, Paris, Seuil, 2021