Amnesty International  : le cauchemar des personnes accusées de sorcellerie au nord du Ghana

Amnesty International, dans un rapport au titre glaçant «  Marquées à vie  », lève le voile sur des refuges de fortune pour des femmes brisées par une accusation infâme : celle d’être sorcières. Basé sur des travaux de recherche menés de juillet 2023 à janvier 2025, ce rapport s’est basé sur des interviews de 93 personnes accusées de sorcellerie, dont 82 femmes. Elles vivent dans des camps informels situés au nord du Ghana.

Âgées de 50 à 90 ans, ces femmes habitent 4 camps comprenant au total plus de 500 personnes. Elles y vivent dans des conditions indignes, «  sans accès suffisant aux services de santé, à la nourriture, à un logement sûr, à l’eau potable et aux opportunités économiques  », relève le rapport.

Le rapport précise que « les personnes vivant dans les camps étant incapables de subvenir à leurs besoins, les autorités ont le devoir de les protéger et de les soutenir. Or, elles n’y sont pas encore parvenues », a déclaré Marceau Sivieude, directeur régional par intérim d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

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En revenant à ces accusations, il faut noter qu’elles font suite à un malheur : une maladie, un décès inexpliqué, ou même un rêve troublant. « Mon voisin a dit qu’il avait rêvé […] que j’essayais de le tuer. Il ne veut pas de moi [dans la communauté], c’est pourquoi il m’a accusée », confie Fawza, résidente du camp de Gnani.

Vieillesse, pauvreté, handicap, solitude ou simplement indépendance féminine : autant de « preuves » suffisantes pour jeter l’anathème. « Ils s’arrangent toujours pour porter des accusations contre vous, surtout si vous travaillez dur, si vous restez forte et si vous vous débrouillez bien en tant que femme », raconte une autre femme du camp de Kukuo.

Ces femmes n’ont souvent d’autre choix que de fuir leurs communautés pour sauver leurs vies. À Kukuo, Alimata, octogénaire, vit sous un toit percé : « l’eau s’infiltre par le toit quand il pleut. J’avais tout. Je récoltais des noix de karité. Maintenant, si personne ne me nourrit, comment vais-je manger ? »

Selon Amnesty International, « les témoignages soulignent l’incapacité de l’État à créer un environnement propice aux enquêtes criminelles et aux poursuites judiciaires pour les attaques liées à la sorcellerie. Ceci contribue à la récurrence des accusations et des abus qui en découlent».

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L’État ghanéen, pour l’instant, échoue à répondre présent. Aucun programme d’aide, aucune législation efficace, aucune protection juridique spécifique. Le constat est implacable : « Les autorités ont le devoir de les protéger et de les soutenir. Or, jusqu’à présent, elles échouent à le faire », dénonce Marceau Sivieude, d’Amnesty International.

En juillet 2020, le lynchage d’une nonagénaire avait pourtant secoué l’opinion. Une coalition contre les accusations de sorcellerie avait vu le jour. Des discussions récentes entre Amnesty, le Bureau du procureur général et le ministère du Genre du Ghana laissent entrevoir une lueur d’espoir, avec la réintroduction d’un projet de loi criminalisant ces accusations.

Mais il faut, selon Amnesty, « une approche holistique qui s’attaque aux causes profondes » : programmes de réintégration, campagnes de sensibilisation, éducation à l’égalité. Bref, un travail de fond pour extirper cette croyance destructrice des entrailles de la société.

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« La croyance en la sorcellerie est protégée par le droit international. Les pratiques néfastes qui en découlent ne le sont pas », rappelle Michèle Eken, chercheuse principale d’Amnesty. Il ne s’agit donc pas de nier les croyances, mais de protéger les vies.

Dans les camps oubliés de Gnani, Kukuo, Gambaga et Nabuli où un silence lourd plane, les femmes attendent une justice, un toit, une dignité et une vie.

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