Note de lecture/ Mea culpa, mea maxima culpa…

Epiphanie de la faillite morale

Les lecteurs expérimentés, friands d’intrigues saisissantes et alambiquées dont l’issue ne va jamais de soi, seront sans doute déçus en tournant la dernière page de ce roman de l’écrivaine gabonaise Irène Dembe. Le titre est annonciateur de ce qui les attend et leurs premières idées ne seront pas démenties. Mea culpa, mea maxima culpa… n’est pas du tout le produit d’une plume aboutie, au-delà de sa motivation à crier haro sur la faillite morale caractéristique de la société des personnages.

Après la mort subite de leur père, les enfants de Makangue ouvrent la lettre-testament qu’il leur a laissée et découvrent, entre autres, la vérité sur sa mort. Devenu milliardaire grâce aux réseaux et aux manipulations ésotériques d’une secte où se pratique la magie noire, Makangue confesse à ses enfants la raison de son trépas. « Les règles de la confrérie sont implacables. Il faut offrir ceux que l’on aime. Si on désobéit, c’est la mort », explique-t-il dans cette lettre.

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Au menu, la lettre renseigne que le milliardaire et tout-puissant homme d’affaires Makangue s’est retrouvé devant un ultime choix cornélien. Cette fois-ci, il n’a pas pu franchir le rubicond. On lui a demandé, comme sacrifice pour continuer à jouir des faveurs de la confrérie et demeurer puissant, d’offrir en sacrifice la femme qu’il aime plus que tout. Il s’y est opposé et la confrérie lui a ôté la vie, sans pitié. Camarade de classe, Mawada est l’objet d’un amour fétichiste de la part de Makangue. Cet amour est resté intact, en dépit des années qui sont passées et, à défaut de pouvoir l’épouser, Makangue a obtenu la concession d’avoir des relations sexuelles avec sa bien-aimée, en dépit de sa situation de femme mariée. Le mari était d’ailleurs dans le coup et il en obtenait en retour tout ce dont il avait besoin : comptes bancaires fournis, voitures de luxe, voyages de plaisance, situation sociale imméritée, protection tout risques.

Makangue aimait Mawada d’un amour si ineffable et inexplicable qu’il a préféré donner sa propre vie au lieu de sacrifier celle de Mawada. Ce fait est l’un des rares sources de lumière et d’euphorie dans ce roman. Makangue est un opportuniste redoutable et un maître sorcier impitoyable certes, mais il y avait encore de la place dans son cœur pour aimer et pour protéger la vie. Aucun homme ne saurait être totalement négatif, n’est-ce pas ?

La lettre-testament révèle des choses effroyables et inimaginables. Makangue y a expliqué, brièvement, comment il a fait fortune et est devenu un homme craint et respecté grâce à la confrérie. « Mes frères sorciers m’ont demandé du sang, ils ont été bien servis. Innocent, ton petit frère, a été ma première victime. Sa mort n’a pas été accidentelle. Mes frères sorciers l’ont assassiné avec mon consentement. (…) Ma soeur Clémentine est stérile parce que mes frères sorciers l’ont bien voulu. Le suicide de mon oncle Athanase est également l’œuvre de la confrérie », raconte-t-il, avec douleur, repentir et contrition. « J’ai fait du mal à tant de personnes », reconnaît-il avant d’avertir son fils héritier contre les appâts de la confrérie. Mieux, il lui recommande de ne pas intégrer cette confrérie. «Mes anciens compagnons viendront vers toi. Ils te diront certainement que tu dois suivre les pas de ton père. Ne les écoute pas », indique-t-il fermement dans sa lettre.

Le dernier mot : « Et  à tous ceux à qui j’ai causé du tort, je ne puis, en signe de regrets, que dire ceci : Mea culpa, mea maxima culpa… »

Makangue ou Tizoba ?

L’une des curiosités (faibleses ?) de ce roman, c’est la hiérarchie entre les personnages Tizoba et Makengue. Quiconque lit ce roman est sans doute désemparé de constater que le personnage dont la fortune semble directement liée au titre n’apparaît que bien plus tard dans l’intrigue ; pendant ce temps, sur plusieurs chapitres, le narrateur a raconté l’histoire d’un certain Tizoba.

Revenu de France, a priori avec des diplômes, Tizoba a été nommé conseiller dans une société ; il y était tout puissant et, à la surprise de tous, il semblait plus puissant que le directeur général officiel. C’était une brute, un obsédé sexuel, un menteur et un homme qui n’hésitait pas à violer ses employées. Il jouissait d’une impunité qui crevait les yeux. L’intrigue renseigne aussi que sa femme, Mawada, assurait tous les besoins de la maison et payait à Tizoba ses voitures et ses voyages, ses liqueurs de grand prix.

Le lecteur comprend l’énigme le jour où Dina, la fille de Tizoba et de Mawada, surprend sa mère et Makangue dans le lit conjugal et se rend compte que cela n’a nullement effarouché son père. En réalité, à défaut d’avoir Mawada comme épouse, Makengue a conclu avec le couple un compromis : le mari doit lui permettre d’avoir des liaisons sexuelles avec sa femme dans le foyer conjugal ; en contrepartie, Makangue couvrait le couple d’argent et de voitures de luxe, entre autres.

Plus loin, quand Makangue décède et qu’il transmet à Mawada des preuves troublantes du double jeu de Tizoba, Mawada tourne le dos à son mari (qui tente tout pour sauver son mariage, en vain) et ce dernier se retrouve déchu et sans le sou. Il tente lui-même de rebondir en forçant l’entrée dans la même confrérie mais le prix à payer l’a refroidi : il aura l’argent et la puissance mais il perdra sa virilité.

Ainsi, le roman est composé de deux histoires de vie que seul un trait ténu relie. On ne sait pas si le roman est construit autour de Makangue ou autour de Tizoba vu que ce dernier y est plus présent que l’autre alors que le titre du roman laisse présager que c’est Makangue qui est au centre de l’intrigue.

Impudeur, corruption, clientélisme, magie noire et crimes rituels, voilà les maux que souligne Mea culpa, mea maxima culpa…Le roman s’attaque à l’opportunisme et à l’oligarchie qui prend en otage les sociétés africaines sans pouvoir favoriser leur épanouissement. La thématique n’est pas originale et le roman révèle des erreurs grammaticales et des incorrections de langage surprenantes.

Irène Dembe est de nationalité gabonaise. Professeur de lettres, elle est également l’auteur du roman Malamba ou la femme poison qui développe la même thématique de la faillite morale. Elle était récemment à Lomé dans le cadre du festival Fil Bleu au cours duquel elle a rencontré le public pour échanger sur son roman.

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