L’art est une activité humaine qui pourrait aboutir à la création d’un chef-d’œuvre. De ce point de vue, l’œuvre d’art est le résultat d’un processus qui suppose une transformation qui est l’habileté de l’artiste à créer des formes inédites. La création artistique se présente comme un domaine où s’affirme la liberté de l’artiste qui, par l’acte créateur, agit sur les matériaux pour les transformer. La sculpture en ce qui la concerne, est une activité artistique qui consiste à concevoir et à réaliser des formes par taille directe, par modelage, par assemblage ou par estampe sur armature. Le verbe “sculpter“ signifie “tailler“ ou “enlever“ des morceaux à un bois ou à une pierre par exemple. La sculpture est une œuvre que l’on obtient donc à partir de la matière. Les matériaux utilisés en sculpture sont généralement d’origine minérale, animale ou végétale. A l’heure où l’art contemporain s’intéresse davantage au génie artistique qu’au savoir-faire de l’artiste, le Togolais Atisso Goha juste à 22 ans se démarque par la monumentalité de ses sculptures. Découvrons l’homme et l’œuvre.
Nom et prénom assez évocateurs :
A l’état civil, il s’appelle Atisso Kodzo GOHA. Le nom révèle parfois notre être profond d’où la nécessité d’une nomination impeccable qui pourrait peut-être influencer notre orientation dans la vie future. GOHA, est un patronyme qui sonne comme Goya (Francisco Goya, célèbre peintre et graveur espagnol du 18ème siècle). Atisso, prénom en langue éwé, du Togo, lui va parfaitement comme un gant. La traduction libre nous donne : bois coupé. Totalement autodidacte, il est donc même selon une certaine onomastique, un sculpteur né qui dès l’adolescence avait choisi déjà sa voie. Cette passion s’est affinée et s’est enrichie au fil des années à la faveur des fécondes rencontres avec des aînés tout au long de son parcours atypique. Ce précoce se définit comme le sculpteur des géants, car il sculpte des troncs entiers dont certains peuvent s’élever à 4 m de hauteur pour 1,50 m de diamètre, mais aussi de gigantesques racines d’arbres qu’il transforme au gré de sa débordante créativité. Sa matière première de prédilection reste le bois brut ou le bois ancien, usé par le temps et les intempéries. Ce génie du bois y matérialise des formes sculpturales qu’il voit très grandes, géantes, impressionnantes et imposantes grâce à son inspiration débordante et son potentiel créatif qui lui ont permis d’être primé en septembre 2019 lors des Oscars de la créativité africaine au Caire en Egypte dans la catégorie sculpture. Il a exposé ses œuvres plusieurs fois au Togo et en France. Ses créations font déjà partie de prestigieuses collections. L’artiste vit et travaille à Assomé, non loin de Tsévié, au Nord de Lomé.
Dégrossir le bois au profit des formes anthropomorphes :
Le traitement réservé au bois est particulier. Sa maîtrise de la taille directe fait apparaître des endroits polis parfois vernissés sur des troncs. Les veines du bois deviennent des plis, les courbures se transforment en rondeurs, etc. De formes anthropomorphes on peut remarquer des sculptures asexuées, non identifiables, des figures d’humains, parfois peu humaines habitant des non-espaces, des géographies perdues. Parfois, on remarque des sculptures aux phallus démesurés. Rien de grave, juste un clin d’œil, une pichenette. Certains colosses portent sur l’entièreté de leur corps de profondes scarifications et sont par endroits brûlés. Ce sont parfois une représentation totémique de la dualité homme-femme en tant qu’aspect composite de la condition humaine. Leur connexion émotionnelle et psychique est rendue évidente par leur plasticité. Ses œuvres sont dotées d’une vigueur communicative et d’un style non conventionnel. Il utilise parfois des combinaisons de matériaux pour extraire une forme d’identité primaire grâce à d’inhabituelles associations. Ses œuvres provoquent un sentiment d’étrangeté, tout en restant familières aux yeux du regardeur.
L’artiste semble aller à l’essentiel, ne traitant parfois que des éléments de la tête et des membres. Dans la plupart des œuvres en bois, l’artiste, dans le tronc à tailler, ne traite qu’une partie pour faire ressortir les éléments distinctifs, donnant l’impression d’une ébauche. Cette technique utilisée semble être sa marque de fabrique. L’attraction de ses œuvres se fait par son accessibilité. Le visiteur, face à ses œuvres géantes n’est pas effrayé, même si l’œuvre s’inscrit dans le registre du sacré et de l’insaisissable.
S’il fallait trouver un fil conducteur à l’ensemble de ses œuvres, le temps et le corps en seraient les vecteurs poétiques. L’œuvre d’Atisso Goha intrigue parce qu’elle se construit à contre-sens dans une dimension cosmique. Dans ces étreintes paradoxales, l’œuvre prend sens, offrant une infinité d’interprétations. Ses géantes sculptures sont faites pour interpeller et évoquer des sentiments dont on ne trouve pas toujours les mots. Seul le silence et la caresse virile de l’œuvre des yeux suffisent à faire sens.
L’exploitation des matériaux recyclés :
Une autre technique abondamment utilisée par l’artiste est la récupération. Elle fait référence aux objets en fin de vie ou de cycle. L’artiste par son sens imaginatif récupère ces objets et leur redonne vie. La récupération est le sens de la vraie création artistique ; puisque l’artiste redonne vie aux objets considérés comme morts. L’artiste exploite des matériaux réutilisés surtout le métal qui exprime le meilleur de la sensibilité africaine moderne. Il s’agit après tout d’un hymne à la beauté dont les créations embrassent une diversité de formes qui sont des œuvres qui reflètent le genre humain. Ses sculptures se présentent en assemblages ou en pièces uniques reliées par des soudures. Les greffes réussissent sur toute la ligne. Que ce soit avec ces pièces métalliques ou d’autres objets de décoration, l’artiste trouve des accords plastiques adéquats pour créer un lien entre la sculpture et l’expression d’une sensibilité artistique moderne. Atisso Goha en réemployant ces éléments, juxtapose la force d’endurance de sa technique à la douceur des thèmes que les œuvres évoquent : la technique et le sujet se mettent mutuellement en valeur. Dans la vie quotidienne, les clous sont censés être aussi discrets que possible et tenir les choses ensemble. D’une part, la multiplicité des éléments et leur opposition suscitent une tension et d’autre part, aident à donner aux œuvres parfois leur impressionnante forme hybride.
L’usage du ciment pour la réalisation de la sculpture s’explique par sa qualité de durcir au contact de l’eau. Mélangé avec du gravier, le tout forme du béton dur, capable de résister aux intempéries. Dans ces types de sculpture, Atisso Goha part d’une armature et procède par le coulage comme du béton armé en architecture. Après quelques semaines, le moule est retiré laissant apparaitre l’œuvre. À la fin, l’œuvre apparaît comme une combinaison de masse que le ciment sert à parachever.
En s’inspirant des sculptures traditionnelles africaines, il ne construit pas ses statuaires par hasard. Ces créations s’inscrivent dans la démarche contemporaine, associant au bois brut ou usé par l’homme et le temps, des matières comme les ficelles en nylon, l’aluminium, le bronze, le fer ou encore le cuivre. Parlant des géantes sculptures d’Atisso Goha, le mot « contempler » a toujours quelque chose de fascinant, il est d’une logique extrême, car dans contempler, il y a « temple ». La fluidité des symboles crée une continuité dans l’environnement qui fusionne mur et sol sans discontinuité.
Influences diverses :
Les expositions d’Atisso Goha nous transportent sur l’Ile de Pâques en Polynésie, sur le site de Tongariki par exemple avec des Moais qui sont des statues géantes mesurant jusqu’à 9 m de hauteur. Les Amérindiens et les peuples du Pacifique n’ont pas le monopole des totems ou des mâts totémiques qui, dans leur cosmogonie, sont assimilés à des « édifices » sacrés érigés pour se conformer à une spiritualité qui ressort du registre des légendes et des mythes ancestraux. Ils sont le reflet des êtres, des animaux, des choses et des événements historiques et culturels marquants qui font sens dans leur environnement.
D’une expérience à une autre, sa création s’est nourrie des techniques artistiques diverses pour conforter les bases de ses différentes influences d’ici et d’ailleurs. On pourra peut-être évoquer comme influence locale les sculptures du Togolais Kossi Assou à travers ses célèbres poteaux mitan. De même, le sculpteur ivoirien Jems Robert Koko Bi par exemple avec ses multiples sculptures-colosses. Hors de l’Afrique, une certaine influence du sculpteur allemand Georg Baselitz grâce à de grands bustes sans visage pour la plupart.
En sculpture, les procédés formels permettent à l’artiste de combiner les différentes formes qui existent dans la nature, dans la matière, dans l’esprit de l’artiste pour créer une forme unique sensée exprimer l’idéal formel. Et c’est cette forme qui est l’œuvre. L’œuvre en fait ne naît que d’une lutte entre le matériau et l’esprit. La sculpture exige une délicatesse et un degré de patience. C’est une activité artistique qui consiste à concevoir et réaliser des formes, par taille, par modelage, par soudure ou assemblage à partir de matériaux comme la pierre, le bois, la terre, le métal ou tout autre matériau. L’inspiration, le talent et la qualité esthétique d’une œuvre restent le travail d’un homme comme Atisso Goha.
Adama AYIKOUE, Critique d’art