Rues, écoles, maisons, et même chambres à coucher, sont envahies par les eaux de pluie. Vêtements retroussés, les riverains essayent de se frayer la voie dans l’eau pour vaquer à leurs occupations. Difficile pour eux de vivre en toute quiétude car à tout moment de la journée, en leur présence comme en leur absence, l’hôte indésirable peut surgir détruisant tout sur son passage. Tel est le calvaire des habitants de Kégué-Zogbédji à chaque saison des pluies, depuis 2014.
« Nous souffrons énormément à chaque saison des pluies, toutes les eaux pluviales des autres quartiers sont déversées par les caniveaux sur nous, comme si nous étions des poissons. Pitié, que l’Etat nous vienne en aide ». C’est le cri de détresse lancé par le chef quartier de Kégué-Zogbédji, Togbui ALODIVLO Kokou, en pleine saison pluvieuse.
“L’eau c’est la vie” dit-on souvent. Mais, parfois cette même eau peut coûter la vie des personnes quand elle n’est pas bien canalisée. C’est le cas des habitants de Zogbédji pour qui la saison des pluies est une période redoutée à cause des inondations.
Selon les faits relatés par le président du comité de développement du quartier, M. ALFA-RADI Aziz, Zogbédji a connu des cas de décès en raison de cette catastrophe. « Au beau milieu de la nuit, le vieux Kodjo dans un état d’ivresse, n’a pas pu échapper à la terreur des eaux qui l’ont surpris et englouti en plein sommeil », a-t-il déclaré.
En dehors de ce cas, au cours de la même année (en 2017), un enfant d’environ 5 ans a été retrouvé noyé dans les eaux de pluie, dans des circonstances non élucidées. « Chaque fois que les nuages se forment dans le ciel, nous nous demandons quel serait notre sort cette fois-ci ? » a-t-il ajouté. Cette situation crée une certaine psychose au sein de la population.
« Cette peur permanente d’affronter les eaux de jour comme de nuit, fait que nous ne dormons pas. Nous sommes sans cesse préoccupés et notre état d’esprit est affecté », déclare un riverain qui requiert l’anonymat.
En plus des pertes en vies humaines, le quartier est difficile d’accès pendant la redoutable saison. L’eau a élu domicile dans les rues et les grandes voies empêchant toute circulation même en véhicule. Ce qui ralenti toute activité économique. Les enfants se rendent à l’école dans des conditions difficiles et sont exposés à de nombreux risques.
« Dès qu’il y a une grande pluie, les eaux envahissent brusquement nos maisons avec une forte pression au point où nous sommes impuissant », précise un autre riverain. Les dégâts matériels sont inestimables. La destruction de documents précieux (les pièces d’identité entre autres), la destruction des maisons et des meubles (fauteuils, lits…), la perte d’animaux domestiques, etc.
Pour sauver leur vie durant toute la saison, de nombreux ménages abandonnent leur maison débordée d’eaux pluviales pour trouver refuge auprès des parents et amis dans d’autres quartiers de la ville. Cette situation les oblige à cesser leurs activités génératrices de revenu et à vivre au dépend des autres, ce qui porte atteinte à leur honneur et dignité. Sur le plan sanitaire, les conséquences sont aussi énormes
Un véritable problème de santé publique
Partout dans le quartier, l’on constate des eaux stagnantes couvertes d’algues et de moisissures et dégageant une odeur nauséabonde, ce qui constitue de véritables nids de moustiques et de mouches. Or, ces lieux sont des endroits privilégiés pour beaucoup d’enfants qui y passent leur temps, soit pour jouer, soit pour pêcher de petits poissons, au risque de leur vie.
Par ailleurs, les latrines sont débordées, ce qui favorise la défécation à l’air libre et toutes ces conséquences. Les puits sont aussi infectés par les eaux souillées de pluies. Les ordures ménagères issues des dépotoirs sauvages sont ramenées dans les maisons par les eaux de pluies provenant des canalisations des quartiers de Hédzranawoé, cité millénium, Kégué, etc.
Selon M. SANI Amidou, Ingénieur Génie Sanitaire et Environnement au ministère de la santé, cette population est exposée à de nombreuses maladies parasitaires, bactériennes et virales telles que le paludisme, le choléra, la gale, la bilharziose, les shigelloses, la salmonellose, l’Ankylostomiase. Ce témoignage de Assana, l’une des victimes des inondations en dit long : « le fait d’avoir les pieds en permanence dans l’eau a entrainé des plaies entre mes orteils. Mes pieds se sont enflés par la suite puis j’étais tombée gravement malade. Je dois ma vie sauve à mon fils qui m’a soignée puis relogée à Tsévié chez lui ».
Le fond du problème
Plusieurs causes expliquent ce problème d’inondation. Selon les services techniques de l’urbanisme, la principale est due au fait que cette zone est située dans la vallée de la rivière Zio, elle est de ce fait inondable et ne devait pas être habité. Aussi, cette zone constitue-t-elle l’exutoire de toutes les eaux drainées en amont, du côté Sud de la voie expresse de contournement. Par ailleurs, il n’existe pas à ce jour, un plan directeur d’assainissement, ni des ouvrages de drainage des eaux pluviales dans cette zone. Pour les riverains, la vraie cause provient de la construction de la voie de contournement dont les canalisations déversent les eaux pluviales dans ce cadre de vie.
Pour résoudre ce problème, les riverains se sont organisés en association pour réaliser des travaux communautaires. A cet effet, des canalisations sont tracées (avec du matériel rudimentaire) pour drainer les eaux jusqu’à la rivière Zio ; des ponceaux sont construits pour faciliter la circulation des personnes. En plus, grâce à la réduction des prix de branchement d’eau potable par la Tde en cette période de crise sanitaire liée au coronavirus, un projet de branchement d’eau potable en faveur de plus de 100 ménages est en cours de réalisation.
En dehors de ces travaux communautaires, des séances de sensibilisation sur les risques d’inondations et les dispositions à prendre en cas de catastrophe sont menées périodiquement par l’agence Nationale de la protection civile (ANPC) et la mairie.
En dépit de ces efforts, beaucoup reste à faire pour juguler le problème.
Des solutions durables pour soulager cette population
M. EDOH Komi, 1er adjoint au Maire de la commune Golfe 2, propose de rendre la zone viable par la construction de grands caniveaux pour drainer les eaux jusqu’à la rivière Zio. Pour sa part, M. OUADJA du ministère de l’eau, de l’équipement rural et de l’hydraulique villageoise préconise la réalisation d’un plan directeur d’assainissement de cette zone. Une mobilisation des ressources est nécessaire pour la réalisation des projets d’assainissement.
« Si l’Etat disposait de moyens, la meilleure solution serait de délocaliser cette population puisque cette zone est hydro morphe et n’est pas habitable. Ce site pourrait servir à d’autres fins », estime M. BITOKA Dilakouma, Chef section communication à l’Agence Nationale d’Assainissement et de Salubrité Publique (ANASAP).
En juillet 2019, le décret n° 2019-105/PR portant expropriation pour cause d’utilité publique d’un site de la vallée de Zio est pris. Dans 1 an, délai de rigueur de la mise en œuvre de ce décret, qu’adviendrait-il des habitants de Kégué-Zogbédji qui seraient aussi concernés par cette décision ?
Une contribution de Tiadéma Sophie (Etudiante en Master à l’Isica)
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