Ecrivain et intellectuel, Edem Kodjo (né Edouard Kodjovi Kodjo, le 23 mai 1938 à Sokodé, au Togo) est l’une des plus grandes figures de la politique et de la littérature au Togo. Il appartient désormais au panthéon de notre conscience collective depuis son décès survenu le 11 avril 2020 dernier à Paris. Dans son pays comme sur le continent africain, il a joué un rôle de premier plan, ces cinquante dernières années. Il fut Secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’ancêtre de l’Union africaine (UA) de 1978 à 1983, et Premier ministre du Togo à deux reprises du 23 avril 1994 au 20 août 1996, puis du 09 juin 2005 au 20 septembre 2006.
En 2009, Edem Kodjo fit ses adieux à la vie politique. Depuis, il vivait entouré d’œuvres d’art et de livres, et se consacrait entièrement à Pax Africana, la fondation qu’il a créée pour lutter pour la paix et le développement en Afrique. Pour le compte de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de l’Union africaine, il était souvent dépêché au chevet des pays en conflits sur le continent.
Toute sa vie durant, il a su trouver un équilibre entre d’un côté, les contingences de la politique, l’Afrique, le Togo et la théologie, et de l’autre, la culture, le besoin d’écrire qui l’a toujours animé, la passion pour la collection des œuvres d’art du Togo, d’Afrique et du monde. Tous ces reliefs de sa vie ont rempli presque à parts égales sa longue et intense vie publique.
« La chose la plus importante à toute la vie, c’est le choix du métier » écrivait Blaise Pascal. Edem Kodjo a véritablement réussi ce pari. Entre fiction (littérature blanche) et essais (littérature grise), le lecteur que je suis, réalise au total que l’écrivain dans toutes ses publications a mené la réflexion et le combat relatifs à la problématique liée au développement de l’Afrique sur toute la ligne. Il avait cette terre en lui. Edem Kodjo avait l’art du détournement du réel de l’histoire-actualité de l’Afrique à des fins littéraires. Premier Togolais à avoir décroché le prestigieux Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire en 1985 grâce à son livre … Et demain l’Afrique, ce poteau-mitan a ouvert la voie à la demi-douzaine d’écrivains togolais qui ont plus tard été honorés par ce même prix littéraire. Je dis avec beaucoup de tristesse que les hommes passent, mais les œuvres restent.
Parlant de parcours intellectuel et artistique, je peux véritablement lui prêter les mots de Gaston Bachelard qui nous rappelle que « La valeur, c’est ce qui est digne d’être recherché ». En effet, en janvier 2014 à Lomé, les œuvres d’art de sa collection privée ont été mises en scène et en espace à travers l’exposition intitulée L’intime. Ce fut une occasion pour le public de découvrir une immense et riche collection en allant de coup de cœur en coup de cœur dans un éclectisme de couleurs, de formes et de figures dans toute leur diversité. Peintures, dessins, sculptures, gravures, objets artisanaux… en font une écurie particulièrement riche, unique et intense… Malgré des pièces anciennes, venant surtout d’Ethiopie, la collection est néanmoins très audacieuse, dans le sens où elle regroupe des artistes résolument contemporains.
Ce n’est pas seulement l’œuvre d’art qu’on vient admirer, c’est aussi et surtout le travail des hommes qui lui ont consacré leur vie et leur talent. Que deviendront ces œuvres maintenant que le collectionneur n’est plus ? L’idée d’un musée devant conserver et valoriser cette riche collection a germé entre temps. La valorisation de ce patrimoine mobilier constitue un enjeu stratégique pour le tourisme mais s’adresse aussi au devenir et à l’épanouissement des hommes et des femmes de demain. Il ne s’agit pas que de conserver pour transmettre, il faut aussi transmettre pour conserver…
Dans sa tête et dans son cœur, le Togo son pays, ne l’avait jamais quitté au point où ces élans lyriques de Sony Labou Tansi devraient lui aller parfaitement comme un gant : « Ah cette terre, si on pouvait me la clouer dans la ceinture ; si on pouvait me la broder sur le front ». L’illustre disparu lui-même n’écrivait-il pas dans son roman Au Commencement était le glaive (Edition La Table Ronde, Paris, 2004), « Dans le puits de l’amour, l’eau jamais ne tarit » (p. 243) ?
Je n’ai pas eu cette chance de le côtoyer. Mais, je l’ai connu physiquement, de loin comme la plupart des Togolais de ma génération lors des manifestations politiques et surtout culturelles. Je l’ai souvent vu à la télévision et écouté sa voix à la radio au moment où il était encore aux affaires. Mais l’homme politique, l’intellectuel et le collectionneur avait cette réputation d’une personne inaccessible…
Après la disparition de ce grand homme, pourquoi ne pas construire un site web pour animer la culture de sa mémoire par exemple, une espèce de panthéon virtuel à la mémoire de nos héros en général ? Cela peut être un site non commercial où, avec la permission des familles des défunts, chaque disparu aura sa page, son espace du souvenir. A l’ère du triomphe du numérique et de la douloureuse réalité du confinement, l’internet, peut aussi servir efficacement à entretenir une mémoire vive !
J’ai dit !
Zanguéra, le 17 Avril 2020.
Adama AYIKOUE, gestionnaire de Patrimoine culturel